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pour la biographie de Babeuf, et qui m’a fourni les citations précédentes dont la source n’est pas indiquée, montre que le seul souci de celui-ci était d’être jugé « par tout autre tribunal » que celui de la Somme, et il demandait, en particulier, de l’être par le tribunal révolutionnaire.

Sur le rapport de Merlin (de Douai), membre du comité de législation, la Convention, par un décret du 24 floréal an II (13 mai 1794), déféra le procès au tribunal de cassation qui, le mois suivant, 21 prairial (9 juin), — c’est-à-dire le lendemain de la fête de l’Être suprême « au Champ-de-Mars » où il est impossible que Babeuf, alors détenu, ait pu se trouver parmi ceux qui avaient menacé Robespierre, contrairement à ce qu’on lit, d’où que vienne l’erreur, dans l’ouvrage de M. Stéfane-Pol, Autour de Robespierre, le Conventionnel Le Bas (p. 136) — annula procédure et condamnation « pour incompétence et excès de pouvoirs » ; l’affaire était renvoyée devant le tribunal criminel de l’Aisne et Babeuf transféré à Laon.

Le tribunal de cette ville qui, le 24 messidor (12 juillet), lui refusait sa mise en liberté, déclarait très judicieusement, le 28 (16 juillet), après examen de la cause, qu’il y avait lieu à acte d’accusation contre Babeuf, le fait matériel étant reconnu par celui-ci, afin de rechercher s’il y avait eu intention coupable ; il ajoutait que cette recherche devait viser tous ceux qui avaient participé au fait incriminé, et qu’il serait sursis « jusqu’à ce que la commission des administrations civiles, police et tribunaux, ait été consultée ». Le 30 messidor (18 juillet), Babeuf obtenait son élargissement sous caution ; nous aurons à revenir sur cette affaire au début du Directoire (chap. xii). Il était à Laon le 9 thermidor (27 juillet), à cause d’une maladie de son fils Robert qu’il avait depuis appelé Emile, par amour pour Rousseau : Jean-Jacques, en effet, Mably et Morelly — dont Babeuf, comme tout le monde alors, attribuait le Code de la Nature à Diderot — tels ont été ses inspirateurs.

CHAPITRE II

INDÉCISION DES THERMIDORIENS

(Thermidor an II à vendémiaire an III. — Juillet à octobre 1794.)

Ce qui prépara le 9 thermidor, ai-je dit, ce fut l’instinct de la conservation ; ce qui assura son succès, ce fut en grande partie la haine que Robespierre avait soulevée contre lui en frappant la Commune de 93. Il avait brisé la fraction avancée de la République, la plus apte à la défendre dans les moments de crise ; aussi, au lieu de l’appui qu’il lui aurait fallu, ne trouva-t-il parmi les survivants restés libres de cette fraction, qui n’était pas seulement composée d’Hébertistes, que des ennemis. Paris, dans son ensemble, n’avait pas bougé,