Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/318

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de Babeuf, le Directoire lança, le 25 germinal (14 avril), une proclamation aussi odieuse que ridicule, dénonçant aux « citoyens de Paris » les mécontents dont il dénaturait les intentions, les accusant de vouloir « mettre en activité le code atroce et impraticable de 93, opérer le prétendu partage égal de toutes les propriétés, même des ménages les plus simples et de la plus petite boutique : ils veulent le pillage ; ils veulent, en un mot, relever les échafauds et se baigner comme jadis dans votre sang pour se gorger de vos richesses et du plus mince produit de vos travaux ». Presque aussitôt un message provoquait le vote d’une loi épouvantable. Par l’article 1er de la loi du 27 germinal an IV (16 avril 1796), votée au Conseil des Cinq-Cents, sans que personne l’y eût ouvertement combattue, à l’unanimité moins douze ; voix, et au Conseil des Anciens à l’unanimité, la peine de mort était édictée contre « tous ceux qui, par leurs discours ou par leurs écrits imprimés, soit distribués, soit affichés, provoquent » au rétablissement de la royauté ou de la Constitution de 1793, au « partage des propriétés particulières sous le nom de loi agraire ou de toute autre manière ». Cette peine était commuée en déportation si le jury déclarait qu’il y avait des circonstances atténuantes. Par l’article 5 était organisée la répression des « attroupements séditieux ». Le lendemain, 28 germinal (17 avril), nouvelle loi contre la presse ; à cette loi qui fut la première ne concernant que le régime de celle-ci, a été due la responsabilité de l’imprimeur : elle exigeait, pour toutes les publications périodiques, le nom de l’auteur, le nom et la demeure de l’imprimeur ; elle interdisait, sous peine de poursuites, de vendre, distribuer, colporter ou afficher celles qui ne se conformeraient pas à cette exigence.

Le Directoire avait continué à traiter la liberté de presse et de réunion, comme les thermidoriens (chap. iii) et, à défaut de loi, à n’écouter que son caprice. Nous l’avons vu, dans le chapitre précédent, déférer le n° 35 du Tribun du peuple au jury d’accusation de la Seine (11 frimaire-2 décembre), puis (13 pluviôse-2 février) le n° 39. Tandis que la première poursuite aboutissait à la déclaration du jury qu’il n’y avait lieu à accusation ni contre Babeuf, ni contre les deux écrivains royalistes poursuivis en même temps que lui (10 nivôse-31 décembre), la seconde était plus heureuse : le jury déclarait qu’il y avait lieu à accusation contre Babeuf, mais non contre les royalistes Richer de Serizy et Suard (7 ventôse-26 février). Le jury est une excellente institution, à la condition cependant qu’il ne constitue pas un privilège pour certains au détriment des autres ; c’est ce qu’il est malheureusement encore, c’est ce qu’il était alors en vertu des articles 483 et 485 du Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795).

Le Conseil des Cinq-Cents sollicité de régulariser l’arbitraire gouvernemental en cette matière, avait nommé, le 19 frimaire (10 décembre), « une commission de cinq membres chargée de présenter un projet de loi pour garantir la liberté de la presse des atteintes qui pourraient lui être portées,