Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/350

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pondant, aux observations qui lui étaient faites à ce sujet, que c’était pour déjouer leurs desseins et « les tromper tous » (Mémoires de Barras, t. II, p. 30), et devenait enfin le familier des fournisseurs, les Lanchère, les Collot, les Cerfbeer, les Haller, des trois associés Flachat, Laporte et Castlelin, qui devaient être un peu plus tard poursuivis pour concussion. Sa nomination fut due à la fois à la pression de ceux-ci flairant de bonnes affaires, et au désir de se débarrasser, sans lui déplaire, d’un personnage devenu gênant. Quelques jours après sa nomination, le 19 ventôse (9 mars), il épousait, à la mairie du deuxième arrondissement, actuellement le n° 3 de la rue d’Antin, en se servant de l’acte de naissance de son frère Joseph, pour se vieillir de dix-huit mois, tandis que, par le même procédé, sa femme se rajeunissait de quatre ans, Marie-Joséphine-Rose Tascher de la Pagerie qui, née le 23 juin 1763 et veuve alors, avait, par son dévergondage, obligé, plusieurs années auparavant, son mari, Alexandre de Beauharnais, à se séparer d’elle ; elle avait été la maîtresse de Barras, de Hoche, du palefrenier de Hoche, Vanakre, et d’une kyrielle d’autres (Idem, p. 54). À son prénom habituel qui était Rose. Bonaparte substitua celui de Joséphine, afin qu’il y eût au moins quelque chose d’à peu près neuf dans cette femme qui avait tant servi et qui, du reste, allait continuer à servir à d’autres que son nouveau mari. Le 21 ventôse (11 mars) Bonaparte quittait Paris pour rejoindre son poste, il arrivait le 6 germinal (26 mars) à Nice, au quartier-général, qui était transféré, le 15 (4 avril), à Albenga. C’est au moment d’entrer en Italie que, pour la première fois, il francisa son nom jusque-là écrit « Napolione Buonaparte ».

Avant d’entamer le récit de sa campagne de 1796, je noterai qu’un écrivain militaire contemporain, le général Pierron, dans une brochure publiée en 1889, sous le titre Comment s’est formé le génie militaire de Napoléon Ier, a établi combien était erronée l’opinion de ceux qui voyaient en Bonaparte un homme n’ayant rien dû aux autres, un « génie inné », opinion, écrivait-il, « très répandue dans l’armée française à laquelle elle a porté un coup plus funeste que la perte de cent batailles, car elle y a amené le dédain de l’instruction ». Après avoir démontré que Bonaparte a connu les Mémoires du maréchal de Maillebois sur ses campagnes en Italie en 1745 et 1746, et un manuscrit du lieutenant-général de Bourcet sur les Principes de la guerre de montagnes (1775), le général Pierron déclare : « Le plan de la campagne d’Italie en 1796 a été emprunté par Napoléon au maréchal de Maillebois ». Dans une autre brochure anonyme, portant le même titre, on a essayé de répondre à celle du général Pierron ; mais l’auteur chicane beaucoup pour arriver finalement à dire que ce sont peut-être « d’autres documents » qui ont servi à Bonaparte et que son « génie militaire s’est formé par des études approfondies sur toutes les questions militaires, sur l’histoire des campagnes de tous les grands capitaines ». Sans partager cette dernière affirmation prise à la lettre, le capitaine J. Colin a écrit : « Plus on approfondit les Principes de la