Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/376

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tainement que c’est la première fois que je dispose des fonds publics avec une pleine satisfaction pour moi-même » (Lebon, L’Angleterre et l’émigration, p. 224). Berger, au nom du club de Clichy, s’entendit avec des Pomelles, l’agent de Louis XVIII. L’union se fit entre les diverses factions réactionnaires, toutes appelées à bénéficier patriotiquement de l’or anglais répandu à profusion (Idem, p. 231).

Avec l’or anglais, les voix d’un très grand nombre d’émigrés allaient peser sur les élections. Dans ses Mémoires, Thibeaudeau avoue « que de véritables émigrés s’étaient introduits en France ; que la complaisance, la commisération, la cupidité et l’esprit de parti concouraient à fournir à un soldat de l’armée de Condé les pièces nécessaires pour le faire rayer comme cultivateur » (t. II, p. 78) ; par ces derniers mots, Thibaudeau faisait allusion à la loi du 22 nivôse an III mentionnée précédemment (chap. vi). Dans son Histoire générale des émigrés, Forneron écrit (t. II, p. 205) : « Un commerce savant s’organise en quelques jours pour vendre de faux certificats de résidence, attestés par de faux témoins ; pour quelques louis, l’émigré obtient un dossier qui lui permet de prouver qu’il n’a jamais quitté son pays ni cessé d’exercer ses droits de citoyen français. Les résidents étrangers organisent également un commerce de passeports ». Dans le rapport de police du 20 vendémiaire an V (11 octobre 1796), on raconte avoir entendu deux citoyens s’entretenant d’« un de leurs amis émigré, qu’ils avaient rencontré, non sans surprise, et lequel leur fit la confidence qu’avec cent louis il avait eu tous les papiers nécessaires pour paraître en règle. Depuis quelque temps on dit assez hautement que l’on trafique dans les bureaux de ces rentrées, et que le gouvernement, qui en tire un grand produit, ferme les yeux sur ces prévarications » (recueil d’Aulard, t. III, p. 510) ; dans le rapport du 30 ventôse an V (20 mars 1797), on lit : « Il s’est dit dans un café que les émigrés rentraient tous les jours moyennant cinquante louis. On cite quelquefois un particulier qui, actuellement en France, était autrefois en Angleterre » (Idem, t. IV, p. 14). La décision en dernier ressort appartenait bien au Directoire, mais on sait que Barras se faisait payer pour opérer la radiation, qui profitait, d’ailleurs, aux adversaires du gouvernement : électeurs ou non, émigrés et prêtres étaient pour eux des agents électoraux très actifs.

Le Directoire essaya à son tour d’influer sur les élections. Il chercha surtout à s’appuyer sur les acquéreurs des biens nationaux, inaugura les candidatures officielles et se fit accorder des fonds secrets pour les soutenir. Au lieu de recourir à des procédés toujours odieux, et parfois ridicules, les gouvernants, que le danger monarchique seul faisait de nouveau pencher à gauche, auraient plus efficacement agi en faveur de la République, en ne se livrant pas au jeu de bascule qui consistait à écraser ses partisans à l’aide de ses adversaires plus ou moins masqués, jusqu’au jour où, contre ceux-ci devenus trop forts, on se retournait, pour se défendre, du côté des autres ré-