Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/38

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C’est un journal pour les penseurs que je prétends faire, disait-il dans le no 2 (19 fructidor-5 septembre). c’est la théorie des lois successivement rendues et l’examen de leurs divers rapports avec la liberté et le bonheur du peuple. » Cependant, ce qui le préoccupe par dessus tout à cette époque, c’est la liberté d’écrire, puis le droit pour le peuple d’élire ses magistrats ; ce qu’il invoque, c’est la Déclaration des Droits de l’Homme de 1793 : « Je rapporte tout aux Droits de l’Homme, je porte aux nues tout ce qui s’en rapproche et je sape tout ce qui leur est opposé » (no 7, du 28 fructidor-14 septembre). Dès son premier numéro, il avait écrit : « Nous estimerons, nous admirerons l’ouvrage, et nous oublierons quel fut l’ouvrier », faisant allusion à cette Déclaration et à Robespierre, « sincèrement patriote et ami des principes jusqu’au commencement de 1793, et le plus profond des scélérats depuis cette époque » ; dans son no 4 il l’appelle « l’Empereur ». Il est thermidorien, avec excès et naïveté tout d’abord : « le 10 thermidor marque le nouveau terme depuis lequel nous sommes en travail pour renaître à la liberté » (no 2). Il réprouve le système de la Terreur et se montre ainsi fidèle aux sentiments d’humanité qui rendent si belle la lettre à sa femme mentionnée à la fin du chapitre précédent (Advielle, Histoire de G. Babeuf, t. 1er, p. 54-55) ; il attaque violemment ceux qui ont appliqué ce système — particulièrement Carrier — appelés dans son no 4 (25 fructidor-11 septembre) « terroristes », mot dont on prétend qu’il fut l’inventeur ; il sait toutefois oublier le rôle sanglant de certains, tant qu’il approuve leur conduite après Thermidor ; tel fut le cas pour Fréron et Tallien ; cette approbation, il est vrai, ne dura pas longtemps. Il combat les Jacobins ; il les accuse d’avoir soudoyé des gens qui ont poursuivi à coups de bâton au Palais-Égalité (Palais-Royal) les colporteurs de son journal.

Dès le no 3 (22 fructidor-8 septembre), il prend la défense du « club non électoral, mais séant à la salle des électeurs », suivant son expression, et proteste contre l’accusation d’hébertisme lancée par Billaud-Varenne. Il publie le projet d’adresse de la section du Muséum (no 18, du 6 vendémiaire an III-27 septembre 1794) qui, dit-il, est le manifeste de son parti, le parti des défenseurs des Droits de l’Homme. Il proteste contre la limitation pour les sections du droit de se réunir et contre l’arrestation de Varlet et de Bodson (no 7). Mais, s’il veut « montrer au peuple que l’on peut, et bientôt, changer en réalité la plus belle des maximes qui ne fut jusqu’ici qu’une illusion : le but de la société est le bonheur commun » (no 4) ; s’il écrit : « Le républicain n’est pas l’homme de l’éternité, il est l’homme du temps ; son paradis est cette terre, il veut y jouir de la liberté, du bonheur, et en jouir durant qu’il y est, sans attendre, ou toutefois le moins possible » (no 5, du 26 fructidor-12 septembre), c’est là tout ce qui, dans les premiers numéros, peut, avec la meilleure volonté, être considéré comme renfermant un germe bien lointain de socialisme ; et cependant, au point de vue philosophique, Babeuf,