Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/385

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liers. Que le ministre l’a chargé, au mois de nivôse an IV, de faire annuler des ventes illicites faites au préjudice de ces établissements ; que le citoyen Aubert du Bayet jouit maintenant du plein droit de protection sur les établissements religieux par l’intervention de la Porte et que la confiance dans les agents de la République se montre parmi les protégés, tandis que la considération pour le gouvernement français fait les plus rapides progrès dans l’opinion publique ».

En somme, disait Delacroix, « si vous rompez un lien principal, une infinité d’autres se trouveront en même temps brisés, surtout dans un pays où les usages, l’habitude, les formes anciennes sont respectés comme des principes ». On ne voulait alors rien changer à ce qui était de nature à assurer la prépondérance de la France en matière politique et en matière commerciale. Or, aujourd’hui, nous nous trouvons en face d’autres nations ayant conclu des traités semblables à ceux qui nous assuraient autrefois un monopole avantageux ; ce monopole a disparu et avec lui ont disparu les avantages de notre position ; les faits sont tels que, de notre protectorat, il ne nous reste plus que les charges. C’est pourquoi le traditionnalisme de Delacroix ne saurait être à notre époque un argument sérieux pour le maintien d’une tradition dont les événements n’ont pas laissé subsister la moindre raison d’être.

D’autre part, le Directoire a eu, tout au moins à une certaine époque, d’autres idées que son ministre sur le sort de notre protectorat : il ne voulait peut-être pas l’abandonner gratuitement, mais il consentait à en trafiquer, puisque, le 13 floréal an IV (2 mai 1796), c’est-à-dire au moment même où l’Espagne lançait la première note dont il vient d’être question, il offrait à cette puissance d’échanger la Louisiane, qu’elle possédait alors, contre notre protectorat d’Orient (Revue d’histoire moderne et contemporaine, 15 février 1904, dans l'Étude critique de MM. R. Guyot et P. Muret, p. 313).

Ce qui aurait pu avoir des conséquences graves, ce fut le dissentiment avec la Prusse. Le traité de Bâle du 16 germinal an III (5 avril 1795) n’avait pas résolu les difficultés, il les avait ajournées en se bornant à dire que si, lors de la paix générale, la France obtenait la rive gauche du Rhin, la Prusse serait indemnisée : ce qui, dans l’esprit du gouvernement français, impliquait la certitude de l’acquisition convoitée, comporta pour le roi de Prusse l’espoir que cette acquisition ne se réaliserait pas. Furieux, par la suite, de voir que les gouvernants français ne renonçaient pas à ce qui était, à leurs yeux, plus qu’une espérance, mais toujours irrité contre l’Autriche, qui ne voulait pas lui permettre de s’agrandir et dont il redoutait le propre agrandissement, Frédéric-Guillaume II n’osait ni prendre parti contre l’Autriche, ainsi que le désirait le Directoire, ni s’unir de nouveau à l’Autriche contre la République. Ses incertitudes furent finalement dissipées par les succès de Jourdan et de Moreau en messidor et thermidor an IV (juillet 1796) : le 18 thermidor (5 août), un traité était signé avec la France à Berlin.