Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/388

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1798). Après des projets belliqueux de part et d’autre — le Directoire, en particulier, devait offrir sans succès, en floréal an VI (mai 1798), à l’Espagne de mettre 30.000 hommes à sa disposition afin de l’aider à conquérir le Portugal ; la France aurait reçu en compensation la Louisiane (Guyot et Muret, Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° du 15 février 1904, p. 314) pour laquelle, nous l’avons vu au début de ce chapitre, elle avait, deux ans auparavant, offert à l’Espagne le protectorat catholique du Levant — on négocia de nouveau sans résultat au début de l’an VII (fin septembre 1798) ; reprises pour la troisième fois vers le milieu de l’an VII (mars 1799), les négociations n’avaient pas encore abouti lorsque le Directoire fut renversé.

La lutte contre l’Angleterre était à cette époque la pensée maîtresse de la diplomatie française, et il ne pouvait en être autrement — même si le gouvernement de Pitt n’avait pas pris si violemment parti contre la République en soutenant ses ennemis au dehors et les royalistes au dedans — avec le système des « frontières naturelles » (voir chap. ix). Nous avons ici un exemple de la puissance désastreuse d’une idée fausse ancrée dans les cerveaux de la masse : la France jusqu’au Rhin c’était devenu un dogme ; presque aucun républicain ne songeait à une autre règle de politique extérieure, aucun n’aurait peut-être osé prendre la responsabilité d’une autre, après les victoires d’une guerre d’abord défensive et malgré le désir général de paix. Or de là ressortaient logiquement les principaux événements qui ont ramené la France à ses anciennes limites, et dont l’ambition d’un homme n’a fait qu’aggraver les déplorables conséquences. Il ne suffisait pas, en effet, d’occuper la rive gauche du Rhin ; la paix n’était possible que si l’Europe acquiesçait à cette occupation. Le consentement de la Prusse, des princes allemands et de l’Autriche, intéressés dans la question, on avait, dès le début, compté, non sans raison, l’obtenir ou l’arracher en satisfaisant plus ou moins leur cupidité. Restait l’Angleterre : celle-ci, qui subordonnait ouvertement sa politique aux intérêts de son commerce, surtout avec un ministre aussi conscient de ces intérêts que Pitt, ne consentirait jamais de bon gré, on le savait, à l’annexion de la Belgique, à la possession d’Anvers par la France. Pour triompher de sa résistance inspirée par le souci de son commerce, c’était dans son commerce qu’il fallait l’atteindre, « de sorte, a très justement écrit M. Albert Sorel, que la paix qu’elle refuse par intérêt, lui devienne une nécessité d’intérêt » (L’Europe et la Révolution française, 4me partie, p. 388).

Étant donnée sa position géographique, l’Angleterre ne pouvait être réduite commercialement que de deux façons, par une descente portant la guerre chez elle, ou par un blocus l’isolant du continent. La descente, nous en verrons tout à l’heure les tentatives ; le blocus, lui, exigeait l’accord de l’Europe continentale contre l’Angleterre et avec la France ; d’où la nécessité de continuer la guerre pour imposer cet accord à qui se refusait à l’accepter,