Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très orthodoxe du libéralisme catholique n’avait cependant pas eu le succès qu’on en avilit attendu.

On se rabattit sur les émigrés. Ceux-ci, nous l’avons vu vers la fin du chapitre xv et au début de ce chapitre, rentraient en masse, et ils n’avaient pas cessé de recourir aux procédés de corruption et de falsification déjà mentionnés. « L’opinion, lit-on dans le rapport de police du 21 floréal an V-10 mai 1797 (Idem, p. 104), se maintient la même sur les émigrés. Ce sont des opinions assez répandues qu’ils rentrent facilement en France, et qu’avec de l’or ils finissent par obtenir leur radiation ». Chassin a constaté, d’après les procès-verbaux des délibérations du Directoire, que celui-ci, qui prononçait les radiations en dernier ressort, « en expédie un très grand nombre au cours de l’an V, n’en refusant que fort peu, une sur vingt à peine » (Les Pacificateurs de l’Ouest, t. III, p. 51). Bailleul, dans son rapport « sur la conjuration du 18 fructidor an V », citera à son tour (Moniteur du 8 et du 9 germinal an VI-28 et 29 mars 1798) des faits de commerce frauduleux de passeports et de certificats de résidence ; il indiquera les rentrées des émigrés, leurs intrigues, leur propagande, leurs menaces et leurs attentats ; il signalera, en particulier, leur préoccupation d’entrer dans les rangs de la garde nationale réorganisée.

Aux émigrés s’ajoutaient, nous le savons, les Chouans (voir le début de ce chapitre) se rendant, eux aussi, à Paris ; on comptait enfin sur les chefs royalistes restés dans l’Ouest, où était projetée une nouvelle insurrection pour laquelle l’un d’eux, Georges Cadoudal, celui qui avait fait élire Villaret-Joyeuse dans le Morbihan, recevait patriotiquement de Londres 1000 livres sterling (25 000 fr.) par mois (Les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 45).

Le Directoire chercha à son tour un appui du côté des anciens Jacobins. Il laissa s’organiser les sociétés populaires, que le royaliste Camille Jordan dénonçait aux Cinq-Cents dans la séance du 30 messidor (18 juillet) ; le 6 thermidor (24 juillet), les Cinq-Cents votaient que « toute société particulière s’occupant de questions politiques est provisoirement défendue », et les Anciens ratifiaient cette résolution le lendemain. Cette loi arrêta une tentative de reconstitution de la Société des Jacobins et aboutit à la fermeture du « Cercle constitutionnel », que des républicains partisans de la majorité du Directoire avaient organisé, dès la fin de prairial (16 juin), dans l’ancien hôtel de Salm, aujourd’hui le palais de la Légion d’honneur, et qu’ils avaient dû bientôt transporter « au ci-devant hôtel de Montmorency, faubourg Saint-Germain » (recueil d’Aulard, t. IV, p. 201), probablement vers le n° 82 actuel de la rue de Lille ; contre les royalistes, les patriotes eurent recours aux placards et aux brochures. L’une de celles-ci, due à Bailleul, fut violemment dénoncée à la tribune des Cinq-Cents, le 13 fructidor (30 août), par le réacteur Duprat ; mais la discussion dévia et, après quelques platitudes de Tallien, mis accidentellement en cause, le Conseil passa à l’ordre du jour.