Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/426

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pondance inédite avec la cour de Vienne). Sa lettre du 30 juillet (p. 303) nous apprend que « l’un des membres les plus importants du Conseil des Cinq-Cents » lui mandait, en date du 23, que Pichegru avait dit à Carnot, à propos de son impuissance à constituer une majorité favorable dans le Directoire : « Eh bien ! nous monterons à cheval ; votre Luxembourg n’est pas une Bastille, dans un quart d’heure il sera réduit ». Dans la lettre du 13 août (p. 315), il écrit ; « Les deux partis travaillent les troupes qui commencent à se diviser ». Dans la lettre du 10 septembre (p. 330), ignorant encore les événements de Paris, il raconte qu’on devait « attaquer le Directoire de vive force » du 15 au 20 août ; ce projet, élaboré par un comité secret de vingt membres, « on le communiqua à Carnot qui, pour prix de sa complicité, exigea qu’on lui laissât la nomination des trois nouveaux directeurs. Le refus fut positif, et le sien ébranla quelques membres du comité », d’où ajournement. D’après M. Sciout (Le Directoire, t. II, p. 631), « Willot et plusieurs députés énergiques avaient fait venir à Paris un certain nombre de royalistes résolus » ; si les royalistes avaient, en effet, des généraux, Willot et Pichegru, ils manquaient de soldats.

Pour s’en procurer, ils s’occupèrent de réorganiser et d’armer la garde nationale, devenue une force exclusivement bourgeoise. Chargé du rapport, Pichegru le déposa le 2 thermidor (20 juillet) ; un extrait de ce document fut imprimé et affiché en forme d’adresse aux troupes. Il y avait là une telle provocation à renverser le Directoire, que Rœderer, dans son Journal d’économie publique, de morale et de politique (n° du 20 thermidor an V-7 août 1797, t. IV, p. 384), disait : « C’est menacer de la force des armes, où il ne fallait que celle des lois. Quand César annonce qu’il passe le Rubicon, il est bon que Pompée soit là ; mais il ne faut pas qu’il ait dit d’avance : me voici » : celui qui faisait cette constatation, Rœderer, était le partisan et, dans ce même numéro, l’apologiste de Pichegru ; il devait être un des complices du « César » de Brumaire. L’armée était caressée par les deux partis, mais en grande majorité hostile à la réaction, si on en juge d’après les véhémentes adresses qui se multiplièrent alors dans ses rangs, quoique l’art. 275 de la Constitution portât : « La force publique est essentiellement obéissante : nul corps armé ne peut délibérer ».

Les adversaires du Directoire ne comptaient pas sur la classe ouvrière ; aussi avaient-ils cherché à la mater au moyen de deux des libertés les plus chères aux soi-disant libéraux d’alors et d’aujourd’hui : la liberté pour le patron de contraindre ses ouvriers à penser comme lui sous peine de n’avoir ni travail, ni pain ; la liberté pour l’ouvrier de mourir de faim, dès qu’il lui plaît de penser à sa guise. Nous apprenons, en effet, par un journal cité dans le recueil de M. Aulard (t. IV, p. 220), qu’on avait vu « les marchands et les manufacturiers fermer leurs magasins et refuser de l’ouvrage aux pauvres ouvriers, pour les forcer d’aller à la messe des prêtres royaux ». Ce procédé