Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/50

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merci de leurs anciens alliés du parti rétrograde qui se sert contre tout le parti républicain, les modérés compris, des forces que ceux-ci lui ont aveuglément — je ne parle que de ceux qui sont sincères — permis d’acquérir. C’est ainsi, et nous aurons l’occasion de le vérifier, qu’on fraye la route au royalisme ou au césarisme. Contrairement à la thèse favorite des modérés, qui s’explique par l’espoir, en accusant les autres, de détourner d’eux-mêmes les soupçons, la réussite d’un coup d’État a toujours été précédée d’une période où les modérés, maîtres du pouvoir, ont plus ou moins usé de faiblesse en faveur des réactionnaires et de rigueur contre les républicains avancés ; c’est-à-dire que le plus précieux auxiliaire des fauteurs de coups d’État reste l’inconscience infatuée et égoïste des modérés.

Selon la règle, l’accroissement du parti modéré, dû au supplément des voix girondines, allait amplifier et précipiter le mouvement de réaction. À peine réinstallés, le 27 frimaire (17 décembre), les Girondins essayèrent d’obtenir le rappel des 22 d’entre eux déclarés traîtres à la patrie ou décrétés d’accusation les 28 juillet et 3 octobre 1793 : Andrei, Bergoeing, Bonet (Haute Loire), Bresson (Vosges), Chasset, Defermon, Delahaye, Doulcet de Pontécoulant, Duval (Seine-Inférieure), Gamon, Hardy, Isnard, Kervélégan, Lanjuinais, Henry Larivière, Lesage (Eure-et-Loir), Louvet, Meillan, Mollevaut, Rouyer, Savary, Vallée. Pour ceux-ci il n’y avait pas d’excuse ; ils avaient poussé à la guerre civile alors que la France était envahie ; plusieurs, de dépit, étaient devenus royalistes. La Convention n’osa pas encore les admettre à siéger, mais accorda qu’ils pouvaient rentrer sans être inquiétés. Dans leur rage de contre-révolution, les modérés s’en prirent aux vivants et aux morts. Les pamphlétaires de leur bord, à défaut de Carrier, attaquaient Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois, anciens membres du comité de salut public ; ils commençaient, d’autre part, à attaquer Marat, élaborant aussi, suivant le mot de Babeuf, une « contre-révolution dans les réputations ».

C’est dans son n° 28 daté du 28 frimaire (18 décembre) qu’il s’exprimait ainsi. Arrêté, on l’a vu par la communication de Merlin (de Thionville) du 5 brumaire (26 octobre), il était bientôt relâché puisque, le 12 brumaire (2 novembre), il parlait de nouveau devant le « club ci-devant électoral » (Un manifeste de Gracchus Babeuf, par Georges Lecocq). Il proposait à ce club que les rigueurs successivement déployées contre lui avaient affaibli, un grand nombre de membres n’osant plus assister aux séances, de se transformer, sous le titre de « club du peuple », en société n’ayant ni bureau permanent, ni registres, ni procès-verbaux, recevant sans aucune formalité et sur le même pied toutes les personnes des deux sexes qui se présenteraient.

Dans le même n° 28 du Tribun du Peuple, Babeuf dénonçait la réaction qui s’opérait ; « tous les corrompus de la vieille cour, disait-il, vont par trop vite dans leur résurrection », et il ajoutait : « Quand j’ai, un des premiers, tonné avec véhémence pour faire crouler l’échafaudage monstrueux du sys-