Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tème de Robespierre, j’étais loin de prévoir que je concourais à fonder un édifice qui, dans une construction tout opposée, ne serait pas moins funeste au peuple ; j’étais loin de prévoir qu’en réclamant l’indulgence, le bris de toute compression, de tout despotisme, de toute rigueur injuste, et la liberté la plus entière des opinions écrites et parlées, on se servirait de tout cela pour saper la République dans ses fondements ». En attendant qu’il en vînt à une meilleure opinion sur Robespierre lui-même et qu’il perdît plus complètement encore ses illusions thermidoriennes, il appréciait, très exactement, la rentrée des Girondins : « Je désirerais qu’il fût possible, écrivait-il, qu’avec l’abjuration de tous les ressentiments, la réinstallation n’eût d’autre suite que le concours fraternel des réintégrés aux grands travaux de la Convention. Mais les 71 sont rentrés en triomphateurs ». Il les accusait, avec juste raison, de vouloir éliminer la Constitution de 1793 et sa Déclaration des Droits. Mais, dans tout cela, rien encore de socialiste. Il songeait cependant à la classe ouvrière : « Une cherté énorme, disait-il, fait gémir et mourir de faim le pauvre ouvrier aux quatre livres ou cent sous par jour. La menace de la cessation des travaux dans les ateliers publics à l’ouverture d’une saison difficile, fait redouter un prochain avenir encore bien plus cruel. La suppression du maximum qu’on proclame contre-révolutionnaire et qui l’est effectivement pour le mercantisme cupide et insatiable, va achever d’affamer la classe des sans-culottes ».

Les gouvernants étaient, en effet, en train d’édicter des mesures défavorables aux ouvriers. Le 16 frimaire (6 décembre), notamment, le comité de salut public avait pris un arrêté en vertu duquel, « à compter du 1er pluviôse prochain, la fabrication et réparation des fusils, à Paris, seront entièrement à l’entreprise. À la même époque il n’y aura plus d’ouvriers à la journée au compte de la République dans les ateliers ; néanmoins les soumissionnaires entrepreneurs et ouvriers à la pièce pourront prendre pour leur compte ceux des élèves qui leur paraîtront avoir des dispositions et qui ont été, par réquisition, retirés du service militaire. Ceux qui ne seront pas réclamés par des soumissionnaires d’armes, ou d’autres artistes, seront tenus de rejoindre leurs bataillons » (Aulard, recueil cité, t. Ier, p. 309 et 312).

C’était la diminution des salaires à un moment où toutes les denrées se maintenaient hors de prix, c’était aussi le départ prochain de nombreux ouvriers mariés devant abandonner dans la misère femmes et enfants. Aussi une certaine effervescence se manifesta-t-elle parmi les ouvriers menacés. Le 20 frimaire (10 décembre), grande frayeur parmi les muscadins sur le bruit de rassemblements d’ouvriers. Ceux-ci se réunirent le surlendemain pour protester contre l’arrêté du 16, mais sans résultat. Le 23 (13 décembre), sur le rapport de Boissy d’Anglas, la Convention approuvait l’arrêté qui devait entrer en vigueur le 1er pluviôse (20 janvier). Pour la cinquième fois depuis le 9 thermidor, la police avait eu assez facilement raison d’une agi-