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de Bonaparte, la France avait échappé au terrible danger que lui avait fait courir la deuxième coalition.

CHAPITRE XX

Le 30 prairial an VII. — Insurrections royalistes.

(Vendémiaire an VII à vendémiaire an VIII-septembre 1798 à octobre 1799.)

Le 1er vendémiaire an VII (22 septembre 1798), les Cinq-Cents célébraient l’anniversaire de la République ; au cri unanime de : Vive la République ! un député, Destrem, ajouta : Vive la Constitution de l’an III ! Lucien Bonaparte « se levant précipitamment et le bras tendu », raconte le Moniteur, s’écria alors : « Oui, vive la Constitution de l’an III ! Jurons de mourir pour elle ! » Le 3 fructidor an VI (20 août 1798), dans un discours cité (chap. xix, § 3) à propos de la République cisalpine, il avait déjà fait en termes burlesques l’éloge de la Constitution de l’an III : « Dans cette Constitution sainte, avait-il dit notamment, repose notre garantie sociale. Hors d’elle, je ne vois plus de terre ferme où nous puissions asseoir le fondement de nos institutions républicaines. Je ne vois que le sable mouvant du despotisme ou la terre de feu de la guerre civile. Quels sont les êtres qui ont pu croire qu’il était arrivé, le moment où la France devait sortir de l’asile salutaire où elle est entrée après de si longs orages ». Le 29 thermidor précédent (16 août 1798), il avait tonné contre les fournisseurs escrocs et réclamé leur châtiment, ce qui ne l’empêchait pas de faire des affaires (Vandal, L’avènement de Bonaparte, p. 101). Le 13 pluviôse an VII (1er février 1799), combattant l’impôt sur le sel, il se refusait à « renoncer au principe sacré qui veut que, dans un pays libre, ceux qui possèdent supportent seuls les frais de l’État ». Nous verrons à l’œuvre ce constitutionnel, ce justicier et ce démocrate ; mais, tandis que son attitude rendait le nom de Bonaparte sympathique dans le milieu véritablement républicain, des gens, tels que Talleyrand, contribuaient à persuader au monde des salons que Bonaparte était le seul homme capable de ramener le roi, et à effacer le souvenir du 13 vendémiaire.

Le 9 prairial (28 mai), au Conseil des Anciens, Garat devait présenter la première livraison d’un ouvrage de réclame en faveur de Bonaparte, « ce héros que nous ne voyons plus, mais dont nous nous entretenons toujours » ; cherchant à dissiper certaines craintes déjà éveillées par toutes ces menées, il ajoutera, avec cet air de supériorité sceptique qu’ont toujours affecté avant l’événement les complices inconscients (voir chap. xxii) des coups d’État : « Le despotisme militaire dont on vous menace, représentants du peuple, vous n’en prendrez pas un grand effroi ». Il faisait allusion évidemment à ce mot, dit à la séance du 7 (26 mai) par Reubell sorti du Direc-