Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/580

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envoyée au Conseil des Anciens qui nomma pour l’examiner et en faire un rapport une commission dont M. Lebrun fut membre et rapporteur… La résolution blessait, non les droits, mais les intérêts des compagnies financières… Sans doute, elles ne prêtèrent leur concours qu’à la condition que la résolution par moi provoquée et adoptée par le Conseil des Cinq-Cents, serait rejetée par celui des Anciens » (revue la Révolution française, t. XXV, p. 184 et 185).

De fait, les Cinq-Cents, dans la séance du 5 brumaire an VIII (27 octobre 1799), adoptèrent, sauf rédaction, un projet de résolution présenté « au nom de la commission des fonds pour le service de l’an VIII » et « tendant à déterminer qu’il sera prélevé provisoirement, par forme d’emprunt, sur les contributions arriérées, la somme de cinquante millions pour assurer le service de l’an VIII » ; la rédaction était adoptée le lendemain et portait que la retenue sur les recettes de l’an VIII pour rembourser ce prélèvement aurait lieu à raison de cinq millions par mois pendant les dix derniers mois, donc pas de retenue sur les deux premiers. Une modification eut lieu le 7 brumaire (29 octobre), en vertu de laquelle la retenue des cinq millions devait être opérée tout de suite. Le 8 brumaire (30 octobre), les Anciens recevaient la résolution ; à la fin de leur séance du matin, le 18 brumaire (9 novembre), « comme s’il eût voulu mener de front la réforme de l’État et la satisfaction de la finance » (Vandal, L’avènement de Bonaparte, p. 334), le président annonçait : « L’ordre du jour demain à midi, à Saint-Cloud, sera un rapport de Lebrun sur les finances « et, au début de la séance du soir, le 19 (10 novembre), la parole donnée aux fournisseurs était tenue ; sur le rapport de Lebrun, les Anciens, en majorité composés de modérés, rejetaient la résolution des Cinq-Cents relative au prélèvement de cinquante millions ; et, dans ce vote, « on peut soupçonner l’indice d’une espèce de pacte passé entre les faiseurs du coup d’État et les compagnies de finance » (Vandal, Idem, p. 398).

La masse, elle, tenait toujours à la République ; mais son plus vif désir à cette époque était la conclusion de la paix. Mme Reinhard, qui accompagna son mari venant prendre possession du ministère des Affaires étrangères, écrivait, le lendemain de son arrivée à Paris (11 fructidor an VII-28 août 1799), que, dans leur voyage, des artisans et paysans ayant appris la qualité de Reinhard « s’écriaient tous : « Donnez-nous la paix, citoyen ministre, dites qu’il nous faut la paix ! » Ce mot était sur toutes les lèvres » (Lettres, p. 84). On exploita ce double sentiment de la masse ; on répandit en quantité chansons et placards dans lesquels était glorifié le « héros », l’homme qui allait travailler à « l’affermissement de la constitution républicaine » (recueil d’Aulard, t. V, p. 761, et Moniteur du 19 brumaire, p. 190). Parmi les auteurs de ces écrits étaient Rœderer et Arnault (Souvenirs d’un sexagénaire, t. IV, p. 350) ; en même temps, Bonaparte était représenté comme voulant la paix, comme étant le seul en état de la faire et de la