Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/591

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troisième directeur étant nécessaire pour empêcher légalement le Directoire de délibérer, Bruix et Talleyrand étaient allés vers les onze heures du matin, c’est-à-dire entre les deux visites de Gohier, trouver Barras de la part de Bonaparte et lui demander sa démission. Barras consentit à signer le texte qu’on lui présenta, « la minute même qui est de la main du jeune Rœderer » à qui son père avait dicté cette démission, le matin même, sur la demande de Talleyrand (Œuvres, du comte P. L. Rœderer publiées par son fils, t. III, p. 301). Qu’il y ait eu offre d’argent ou menaces, le résultat fut la soumission apparente de Barras qui partit dans la journée pour sa propriété de Gros-Bois, en Seine-et-Oise, près de Boissy Saint-Léger.

Bottot était arrivé aux Tuileries, envoyé par Barras avant que celui-ci eût signé sa démission. « Bonaparte ayant aperçu Bottot, secrétaire de Barras, et s’attendant à quelques propositions de sa part, fut à lui, l’entretint un instant en particulier et, voyant qu’il s’était trompé, éleva tout à coup la voix » (Gohier, Mémoires, t. Ier, p. 253). Déçu précisément parce que la démission qu’il attendait ne lui était pas remise, il manifesta sa colère en résumant au malheureux Bottot, qui n’y comprenait rien, une adresse du club jacobin de Grenoble publiée par le journal l’Ennemi des oppresseurs dans son n° du 4 brumaire-26 octobre (Vandal, L’avènement de Bonaparte, p. 316-317 et 583).

N’étant que deux, les candides cruches Gohier et Moulin n’avaient pas bougé et, seulement après la levée de la séance des Cinq-Cents, remarque avec amertume Gohier (Mémoires, p. 245),sans avoir rien tenté pour justifier cette précaution de ses adversaires, un second message leur apporta « enfin l’expédition officielle du fameux décret » (id., p. 243)avec « une copie officielle de la lettre de Barras » (id, p. 255). La réception de ce message eut lieu au plus tôt après midi ; or, à cette heure, le décret était déjà affiché. Tandis que les autres n’ont pas le moindre souci de sa promulgation mais agissent, Gohier et Moulin, poussés par leur vénération de la forme, se résolvent à entrer en mouvement : gravement, ils se rendent « vers trois heures » (Buchez et Roux, Idem, p. 178) aux Tuileries auprès de Sieyès et de Roger Ducos afin, leur dirent-ils en les abordant, de « joindre nos signatures aux vôtres pour proclamer constitutionnellement la disposition du décret qui transfère les séances du Corps législatif à Saint-Cloud » (Gohier, id., p. 255-256) ; Gohier laissait ainsi entendre qu’il ne signerait pas la partie illégale concernant Bonaparte. À quoi Sieyès répliqua, au risque de porter à son comble l’ahurissement du légaliste Gohier : « le décret tout entier est proclamé »(id., p. 256 ; voir aussi Thibaudeau, Le Consulat et l’Empire, t. Ier, p. 32), et, sans doute par suite de la réserve qu’il venait de faire et de la réponse de Sieyès, Gohier, contrairement à ce qu’on affirme, nous allons le voir, ne signa rien. Bonaparte, étant arrivé, se donna des airs terribles, menaça de faire fusiller Santerre s’il remuait au faubourg Saint-Antoine et conclut (id., p. 258) : « Il