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conta que des députés avaient tenté d’assassiner leur général ; puis, se parant du titre de président qu’il venait d’abdiquer à la tribune, il leur ordonna de ne reconnaître pour « législateurs de la France » que ceux qui se rendraient auprès de lui, il requit l’expulsion par la force des autres qu’il appela « les représentants du poignard ». Quelques instants après, les grenadiers envahirent l’Orangerie et, au roulement des tambours, en chassèrent les membres du Conseil des Cinq-Cents. Avant cinq heures et demie, l’opération était terminée.

Quant à l’histoire des poignards, démentie par Dupont (de l’Eure), Savary, Bigonnet, etc., et dont la complète fausseté a été établie de la façon la plus certaine (Aulard, Études et Leçons sur la Révolution française, 3e série, p. 275), elle devait avoir d’heureuses conséquences pour les deux grenadiers, Thomas Thomé et Edme-Jean-Baptiste Pourée, transformés, à leur très agréable stupéfaction, en sauveurs de Bonaparte. Le premier, dit Savary (Idem, p. 37), racontait le lendemain ou le surlendemain, « d’une manière fort plaisante, qu’il avait été mandé chez le général ; que là, il avait appris qu’il avait sauvé la vie au général en recevant le coup de poignard qui lui était destiné ; qu’il méritait une récompense ; que madame lui avait d’abord fait le cadeau d’une belle bague ; qu’on allait lui donner une pension ; qu’il serait fait officier, et qu’il fallait qu’il se disposât à partir… Il ajoutait, en riant, qu’il était fort heureux pour lui d’avoir déchiré la manche de son habit en passant auprès d’une porte ». Déjà, dans le premier numéro du Journal des Républicains, daté du 22 brumaire an VIII (13 novembre 1799), et qui était la suite du Journal des Hommes, on lisait : « Le général Bonaparte n’a point été blessé comme on avait cru utile de le répandre ». La « fable officielle », du moins dans sa forme la plus exagérée, fut donc tout de suite démentie.

Après la dispersion des Cinq-Cents, le Conseil des Anciens, ne sachant trop ce qu’il devait faire, n’avait pas tardé à se former en comité secret. Informé du commencement d’hésitation qui s’était produit dans ce Conseil, Lucien se rendait à cette réunion à laquelle il n’avait aucun droit d’assister, et ramenait à lui les indécis. La majorité, désormais prête à tout, votait à elle seule, « attendu la retraite du Conseil des Cinq-Cents », disait-elle, les mesures que les auteurs du coup d’État avaient décidé de faire voter par les deux Conseils et, vers les sept heures, elle renvoyait à neuf la nomination des commissions prévues dans son décret. À la reprise de la séance, elle allait procéder à cette nomination, lorsqu’elle fut avertie que Lucien « avait trouvé un Conseil des Cinq-Cents » (Gohier, Mémoires, t. Ier, p. 320) ; elle discuta le rapport de Lebrun sur les finances, dont il a été question plus haut, et attendit les résolutions des « 25 ou 30 » membres du Conseil des Cinq-Cents — c’est le chiffre indiqué par Cornet lui-même (Notice historique sur le 18 brumaire, p. 16) — que, vers les neuf heures, Lucien était parvenu à réu-