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Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/78

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d’autres mains. Les riches marchands insultent à la misère du peuple et menacent de vendre bientôt au poids des assignats la nourriture du pauvre… L’aristocratie veille sans cesse pour tourner à son profit ce que nous faisons pour le bonheur du peuple. Jamais elle n’a poussé plus loin qu’aujourd’hui son insolente audace ; jamais le fanatisme n’a déployé plus de fureurs. En sortant d’un extrême, ne tombons pas dans un autre. La léthargie du modérantisme n’est pas moins funeste que la vigilance de la terreur. Je vois avec effroi la contre-révolution empoisonner de son souffle liberticide l’horizon politique. Il n’y a pas de choix à faire : il faut sauver la patrie ou périr… Je demande que la loi du 17 septembre 1793 sur les gens suspects soit exécutée de point en point ». La conclusion ne valait pas les constatations par lesquelles est si perspicacement pris sur le fait ce vice immanent du parti modéré de ménager la réaction qui lui fournit l’appoint nécessaire jusqu’à ce qu’elle soit assez forte, grâce aux avantages obtenus, pour chercher à l’évincer lui-même ; et c’est de là que sont toujours sorties les crises périlleuses pour la République.

C’étaient les Jacobins que le parti modéré déclarait vouloir atteindre ; mais cette qualification englobait tous ceux qui avaient joué un rôle en l’an II et restaient fidèles, à ce passé (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 398 et 590), en attendant qu’elle servît à désigner tous les républicains sans distinction. Les femmes à la mode attisaient cette campagne dont Fréron fut le principal organisateur et les muscadins les exécuteurs. Ceux-ci qui prirent l’habitude d’aller tous les matins chercher le mot d’ordre chez Fréron, rue Chabanais, et dont le centre de réunion était le café de Chartres ou des Canonniers au Palais-Royal, se divisaient en trois groupes principaux (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 488, et n° 30 du Tribun du Peuple) : l’un parcourait les sections, l’autre se tenait dans les lieux publics, et le troisième se rendait dans les tribunes de la Convention, partout bruyants et provocateurs. Ils organisaient la chasse aux Jacobins, frappaient les hommes quand ils étaient « quatre contre un », selon le mot de Mercier (Le Nouveau Paris, chap. cxxvi), outrageaient ignoblement les femmes, saccageaient les boutiques. Le journal de Fréron et les feuilles de même acabit poussaient ouvertement au massacre des Jacobins ; dans son n° 30, daté du 4 pluviôse (23 janvier), Babeuf dénonçait en particulier à cet égard le n° 59 de l’Orateur du Peuple.

Le 2 pluviôse, pour fêter l’anniversaire du 21 janvier, dont la Convention avait, le 21 nivôse (10 janvier), décidé la célébration, ils brûlèrent, avec ce goût des autodafés qu’ont toujours montré les partis réactionnaires, un mannequin qui était censé représenter un Jacobin. « On avait d’abord projeté, a écrit (Revue de la Révolution, t. IV, p. 13) un monarchiste, M. Victor Fournel, de donner à ce mannequin une double face : d’un côté le jacobinisme, de l’autre la royauté. Il s’agissait toujours avant tout de se garer contre les accusations de royalisme », tout en étant royaliste. Ils recueillirent les cendres dans un pot