Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/79

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de chambre et le jetèrent dans l’égout Montmartre. Voilà l’esprit des « honnêtes gens » que caractérise, d’ailleurs, encore ce même genre de distinction : en août 1902 (Temps, du 14 septembre 1902, 3me page), aux applaudissements de l’aristocratie, les cléricaux du pays des Chouans n’ont-ils pas associé, en un rapprochement ordurier bien digne d’eux, l’alcool, les cantiques et les matières fécales ? Pour leur grossière ineptie les muscadins de 1795 avaient essayé d’enrôler les ouvriers du faubourg Saint-Marceau ; mais, dit le rapport de police du 2 pluviôse (21 janvier), « ils n’ont point fait de prosélytes ». Tout cela avait lieu en criant au début : Vivent la République et la Convention nationale ! puis Vive la Convention ! seulement. C’était en affectant de protéger le gouvernement républicain qu’ils minaient la République, suivant une tactique dont le jésuitisme et les avantages devaient séduire le pape Léon XIII (16 février 1892) et transformer nos cléricaux en ralliés. Pour écarter les républicains et mettre la main sur la République, on ne recule devant rien ; aussi la presse immonde de l’époque accusait les Jacobins d’être de connivence avec les Chouans, (Paris pendant la réaction thermidorienne, de M. Aulard, t. Ier, p. 453), racontait qu’une tannerie des peaux des guillotinés avait été établie à Meudon, et que Barère avait des bottes venant de là (Idem, p. 519).

Les morts n’étaient pas plus épargnés que les vivants. Des royalistes à faux nez républicain attaquaient Marat en l’appelant le « royaliste Marat » (Courrier républicain du 16 pluviôse-4 février, cité par M. Aulard dans le recueil précédent, t. Ier, p. 448). Les muscadins ayant manifesté l’intention de renverser dans les théâtres le buste de Marat placé alors dans toutes les salles, le comité de sûreté générale donne, le 26 nivôse (15 janvier), des ordres sévères ; le 27 (16 janvier), les muscadins démentent hypocritement l’intention qui leur a été prêtée et déclarent que peu leur importe que Marat soit au Panthéon (recueil de M. Aulard, t. Ier, p. 409) ; le 28 (17 janvier), le buste de Marat est mutilé au théâtre de la rue Favart, et la démolition des bustes continue pendant une quinzaine de jours sans que l’autorité sévisse ; on se borne à remplacer les bustes démolis ; le 19 pluviôse (7 février), d’après le rapport de police du lendemain, les muscadins qui, le 27 nivôse (16 janvier), avaient affirmé leur indifférence au sujet du maintien de Marat au Panthéon, décident l’impression d’un discours demandant de ne décerner les honneurs du Panthéon que vingt ans après la mort et d’en enlever, par conséquent, les restes de Marat. Le lendemain (8 février), la Convention leur donne satisfaction et vote que « les honneurs du Panthéon ne pourront être décernés à un citoyen, ni son buste placé dans le sein de la Convention nationale et dans les lieux publics que dix ans après sa mort ». Les restes de Marat étaient ainsi exclus du Panthéon moins de cinq mois après y avoir été solennellement portés.

Une partie de la population était exaspérée par l’attitude des « jeunes gens de Fréron », et il arrivait parfois aux ouvriers de se rendre en nombre