Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/95

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groupes ; la population devenant moins tolérante leur infligea quelques bonnes corrections. Ce qui se passait n’était pas de nature à la calmer. La portion de pain distribuée à prix réduit aux nécessiteux sur la présentation de cartes délivrées par les comités civils de leurs sections, était abaissée, à partir du 8 ventôse (26 février), à une livre et demie par tête ; le 27 ventôse (17 mars), on n’avait plus qu’une livre et, le 10 germinal (30 mars), une demi-livre avec six onces de riz. Et encore tous ceux qui avaient droit à ces misérables portions, ne parvenaient pas à les obtenir ; « des citoyens n’ont pas eu de pain depuis trois jours », dit le rapport de police du 13 germinal (2 avril) sur la journée de la veille. Aussi petit à petit les esprits s’échauffaient et l’exaspération allait remporter.

Le 7 germinal (27 mars), tumulte dans divers quartiers et députation de femmes venant se plaindre à la Convention. Le 11 (31 mars), rassemblement qui força les portes de l’assemblée et nouvelle députation de la section des Quinze-Vingts dont l’orateur résuma ainsi les sentiments de la population ouvrière parisienne : « Le 9 thermidor devait sauver le peuple, et le peuple est victime de toutes les manœuvres. On nous avait promis que la suppression du maximum ramènerait l’abondance, et la disette est au comble. Les incarcérations continuent. Le peuple veut enfin être libre ; il sait que, quand il est opprimé, l’insurrection est un de ses devoirs, suivant un des articles de la Déclaration des Droits. Pourquoi Paris est-il sans municipalité ? Pourquoi les sociétés populaires sont-elles fermées ? Où sont nos moissons ? Pourquoi les assignats sont-ils tous les jours plus avilis ? Pourquoi les fanatiques et la jeunesse du Palais-Royal peuvent-ils seuls s’assembler ? Nous demandons, si la justice n’est pas un vain mot, la punition ou la mise en liberté des détenus. Nous demandons qu’on emploie tous les moyens de subvenir à l’affreuse misère du peuple, de lui rendre ses droits, de mettre promptement en activité la Constitution démocratique de 1793. Nous sommes debout pour soutenir la République et la liberté. » Il fut donné lecture de plusieurs pétitions dans le même sens.

Le lendemain matin (12 germinal-1er avril) un grand nombre de boulangers n’accordaient qu’un quarteron de pain à chaque personne. Des femmes forcèrent un poste pour s’emparer d’un tambour, battre le rappel et amener les citoyens à la Convention. L’assemblée était en séance. Une masse d’hommes, de femmes, d’enfants, firent irruption dans la salle et l’envahirent en criant : Du pain ; sur de nombreuses coiffures on lisait : Constitution de 1793. L’orateur populaire Vaneck, de la section de la Cité, prit la parole ; il protesta contre l’incarcération des patriotes, contre les manœuvres des agioteurs organisant la dépréciation des assignats et la famine, et contre l’impunité dont jouissaient les « messieurs à bâton ». La foule entrait toujours ; une partie de la droite s’était enfuie, la gauche déserta moralement : au lieu d’agir aussitôt, de prendre les mesures énergiques qui pouvaient lui