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Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/94

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des approvisionnements de Paris, ne recevaient pas assez de farine, la recevaient trop tard, fournissaient un pain de mauvaise qualité et ne pouvaient satisfaire tout le monde (rapport de police du 27 ventôse et du 6 germinal-17 et 26 mars notamment). Afin d’atténuer la diminution du pain, on distribuait du riz ; mais les pauvres n’avaient ni bois ni charbon pour le cuire. Le 27 ventôse (17 mars), des citoyens des sections du Finistère (quartier des Gobelins) et de l’Observatoire, que des femmes, encore plus excitées que les hommes, encourageaient, vinrent à la barre de la Convention réclamer du pain sur un ton que ceux qui avaient bien mangé estimèrent peu mesuré. « Les subsistances, dit le président, Thibaudeau, ne sont que le prétexte de l’agitation. »

C’était faux, les rapports de police, par exemple celui du 9 germinal-29 mars (Id, p. 612), le démontrent irréfutablement ; ils constatent que l’agitation croissait ou diminuait suivant que la distribution du pain était plus ou moins restreinte. Mais ce qui était vrai, c’est que les partis politiques cherchaient à utiliser cette agitation qu’ils ne créaient pas. Tandis qu’à la fin de ventôse (rapport de police du 30-20 mars) certains écrivaient sur les murs : Point de roi, point de pain ! ou Vive le Roi ! couraient dans les groupes cherchant « à imprimer au peuple le regret de l’ancien régime et à lui faire perdre patience » (rapport du 10 ventôse-28 février), et approuvaient ouvertement la diminution de la ration individuelle dans l’espoir d’une recrudescence du mécontentement et de la possibilité de s’en servir pour leurs desseins (recueil d’Aulard, t. Ier, p. 566 et 584) ; d’autres entamaient une campagne d’affiches pour pousser la population à réclamer la Constitution de 1793 et du pain ! C’était surtout vers ceux-ci qu’allaient les sympathies populaires malgré les mamours que les muscadins faisaient aux ouvriers. Aussi le gouvernement thermidorien, imité en cela par tous les gouvernements réactionnaires qui l’ont suivi, s’efforça tout de suite de déplacer les responsabilités et d’attribuer aux manœuvres de « meneurs » les résultats de ses propres fautes ; au lieu de travailler à réparer celles-ci, cause première du désordre, il ne songea qu’à organiser la répression de leurs conséquences logiques. Dès la fin de ventôse (rapport de police du 26-16 mars), on signalait des mouvements de troupes et, le 1er germinal (21 mars), fut votée une loi frappant de peines sévères les attentats contre les personnes, les propriétés, la représentation nationale et — lâche hypocrisie — la Constitution de 1793.

Ce même jour, une députation des sections des Quinze-Vingts et de Montreuil était venue réclamer formellement la mise en vigueur de cette Constitution. N’obtenant sur ce point, comme au sujet des subsistances, que des paroles menteuses, les rassemblements populaires continuaient et le rapport de police du 6 germinal (26 mars) signale des marques de désespoir auxquelles succédaient des menaces. Les muscadins s’étaient mis depuis quelque temps à faire en amateurs l’œuvre de la police et à dissiper les