Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/99

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membres songèrent à la faire servir au triomphe de leurs idées. Ce qui fit, que ce projet échoua sans le moindre profit, ce fut surtout, le 12 germinal, nous l’avons vu, la persistante indécision de la Montagne, et le 1er prairial, nous allons le voir, la conduite incohérente de la foule révoltée. Les prisons renfermaient alors les démocrates les plus ardents ; des hommes qui s’étaient parfois combattus sans se connaître, s’y trouvèrent en contact ; les patriotes amis et adversaires de Robespierre, par exemple, eurent l’occasion de s’expliquer ; en se fréquentant, ils apprirent à se préoccuper plutôt de ce qui les rapprochait que de ce qui les divisait, ils se trouvèrent d’accord pour affirmer que la première chose à poursuivre était la mise en vigueur de la Constitution de 1793. C’est pour la réalisation de ce but qu’ils voulurent tirer parti du soulèvement populaire que l’organisation, peut-on dire, de la famine devait provoquer. Aussi ce fut dans les prisons qu’on rédigea la plupart des affiches placardées avant le 12 germinal et celle du 30 floréal dont nous parlerons tout à l’heure ; cette propagande-là correspondant aux sentiments de la masse eut auprès d’elle un plein succès.

Philippe Buonarroti que nous retrouverons avec Babeuf (chap. xiii), et qui, dans les derniers jours de floréal (mai 1795), était à la prison du Plessis — située au coin de la rue Saint-Jacques et de la rue du Cimetière-Saint-Benoît contre les bâtiments du collège Louis-le-Grand — a écrit (Conspiration pour l’Égalité, t. Ier, p. 53) : « Je sais, à n’en pas douter, que l’insurrection du 1er prairial an III fut en grande partie l’ouvrage de plusieurs citoyens détenus au Plessis, parmi lesquels on nommait plus particulièrement Leblanc, depuis commissaire du Directoire à Saint-Domingue, et Claude Fiquet ». Toutefois un citoyen Magnier qui avait pris pour prénom Brutus, détenu depuis la fin de ventôse (mars) à Rennes où l’avait renvoyé le tribunal révolutionnaire de Paris, se déclara, le 14 prairial (2 juin), dans une lettre saisie et lue à la Convention le 25 prairial (13 juin), l’auteur de l’affiche du 30 floréal et fut pour ce fait, malgré sa rétractation devant ses juges, condamné à la déportation le 3 thermidor an III (21 juillet 1795). S’il existe une certaine analogie entre un plan manuscrit de revendications établi par Brutus Magnier et les revendications affichées dans la soirée du 30 floréal, il n’y a pas identité, et je suis porté à croire que ce citoyen s’est illusionné. Trop désireux peut-être de se mettre en évidence, il a pris et déclaré pour son œuvre ce qui n’était chez lui que l’écho de ce qu’il avait entendu dans les prisons de Paris où, depuis plus de trois mois, il se trouvait encore au début de ventôse (fin février 1795). Tout d’abord, en effet, cette action à Paris d’un détenu de Rennes qui n’avait pas une notoriété hors ligne, paraît assez invraisemblable, surtout, pour une chose aussi simple que l’énoncé de revendications courantes à cette époque dans les milieux démocratiques. Ensuite, le témoignage de Buonarroti, à même d’être bien renseigné à cet égard et ne soufflant pas mot de cette lointaine intervention, me semble concluant.