Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/104

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qui se rend auprès des constitutionnels, revient trouver Caprara en lui annonçant que l’abjuration est faite. Le légat, sans s’informer davantage, leur donne l’absolution et les institue en déclarant qu’ils ont fait ce qu’il désirait. Les constitutionnels, devenus évêques concordataires, s’empressèrent de protester avec énergie dans une lettre publique, en déclarant que Bernier avait fait un faux témoignage s’il avait apporté au légat une abjuration qu’ils n’avaient jamais faite. C’est sur cet incident ridicule que se terminèrent les longues négociations du Concordat.

Quant aux Articles organiques, il n’y eut pas, il ne pouvait pas y avoir de négociations à leur sujet. C’est en vertu de l’article premier du Concordat, prévoyant l’établissement de règlements de police, qu’ils furent édictés. Pie VII, surpris par leur publication, faite en même temps que celle du Concordat, de telle sorte qu’ils en paraissaient la suite normale, protesta contre le procédé, mais il ne pouvait rien de plus. Les Articles constituent une loi comme toutes les lois ; les citoyens français lui doivent donc, le respect dû à une loi régulièrement promulguée, et si les membres du clergé étaient purement et simplement des citoyens français, ils les accepteraient comme tels. C’est pour cela sans doute qu’un écrivain catholique qu’on nous pardonnera de citer si souvent, en songeant à la place considérable occupée par lui dans l’Église, écrit[1] : «… On ne trouverait pas en France, à l’heure qu’il est, un évêque, un prêtre, un catholique instruit qui attribue la moindre valeur canonique aux Articles organiques. » Nous entendons bien qu’il est question ici de la valeur « canonique », mais nous savons aussi combien est subtile la langue d’un cardinal !

L’esprit général des Articles est la subordination de l’Église à l’État, la reprise par un gouvernement autoritaire et à son profit de la doctrine gallicane. Portalis, à maintes reprises, expose cette doctrine dans ses rapports. Nous ne l’y suivrons pas parce qu’il nous suffit de connaître le lien historique qui rattache, par-dessus toute l’œuvre révolutionnaire, l’ancien régime au régime nouveau, sans répéter le travail d’élaboration qui a permis de restaurer les formes anciennes. Si l’Église romaine rejette les Articles organiques parce qu’elle estime être étranglée par eux, nous les regardons, nous, comme le complément bâtard d’un acte diplomatique malfaisant, qui permet aux pires ennemis de la démocratie de poursuivre au sein de la nation une œuvre néfaste. Nous ne voulons pas plus une Église d’État qu’une Église romaine, nous voulons la pensée libre. Bonaparte a cru mater le clergé en l’embrigadant, il ne s’est pas aperçu que par le Concordat il donnait à ce clergé le droit reconnu de se tourner toujours vers le pape de Rome, à ses dépens à lui, pape de Paris. Il a interdit, par les Articles organiques, toute communication entre le pape et la France autrement que par l’intermédiaire du gouvernement, il a défendu de recevoir sur le territoire français tout individu envoyé par la

  1. Mathieu, o. c., p. 328.