Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/107

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dans le sens qu’il désirait. C’est de la sorte que 240 nouveaux membres au Corps législatif et 80 au Tribunat assurèrent l’adoption du Concordat, et cela — malgré l’épuration — surtout grâce à la présence des Articles Organiques. Le Tribunat donna 78 voix contre 7 et le Corps législatif 228 contre 21.

Sans fracas fut promulguée aussi, le 18 germinal an X, la loi contenant les « Articles Organiques des cultes protestants » où sont réparties, dans trois titres, un ensemble de règles qui remettent dans l’absolue dépendance de l’État l’Église réformée et l’Église de la confession d’Augsbourg. Le Premier Consul s’érigeait en chef du protestantisme français, comme il se faisait pape des catholiques de France. Les protestants recouvraient leurs pasteurs — salariés par l’État, — leurs consistoires, leurs synodes, leurs inspecteurs ; mais l’origine de tous ces rouages, le directeur général du culte, c’était Bonaparte. Mais les adeptes des deux sectes protestantes s’estimèrent bien heureux de ne pas être supprimés par le catholicisme romain rénové et s’ils vécurent sans éclat, du moins ils subsistèrent, loin du faste inquiétant de l’Église romaine.

Le Te Deum célébré à Notre-Dame pour fêter le Concordat se fit au milieu d’une pompe extraordinaire. Les consuls, les ministres, les conseillers d’État, les sénateurs, les législateurs et les tribuns, tous les corps constitués, les généraux, en un mot toute la Révolution, enchaînée par le premier Consul, figura au spectacle. Mais le temps d’impiété et de moquerie n’était pas si loin que beaucoup ne fussent tentés de rire. Et, malgré l’ordre de Bonaparte qui voulait qu’on se tînt bien, à plusieurs reprises les assistants se laissèrent emporter par leur désir de se moquer. L’armée, en particulier, se distingua par son attitude grossière, que les généraux avaient du reste prévue : Ils avaient délégué Augereau au Premier Consul pour demander d’être dispensés de se rendre à Notre-Dame. — On a rapporté souvent le mot du général Delmas, à qui Bonaparte demanda comment il trouvait la cérémonie : « C’est une belle capucinade, répondit-il. Il n’y manque qu’un million d’hommes qui ont été tués pour détruire ce que vous rétablissez.[1] »

Le Te Deum est du 18 avril 1802 — le plébiscite pour le consulat à vie est du 10 mai 1802.

À travers tous les développements que nous avons donnés à l’étude de la politique religieuse, nous avons semé des appréciations et des critiques. Cela fera dire que notre œuvre est de polémique et non d’histoire. Mais, au frontispice de l’Histoire Socialiste, il est écrit que la connaissance des efforts et des luttes de nos pères doit nous donner « un surcroît de force et de clarté pour les luttes de demain. » Nous n’entendons pas nous immobiliser dans le passé, nous voulons le comprendre et l’interpréter selon les lumières nouvelles de la conscience. C’est pour cela que nous avons tâché de donner une vie

  1. Delmas fut mis en retrait d’emploi et ne fut rappelé au service qu’en 1813 pour aller mourir à la bataille de Leipzig.