Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/108

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actuelle à toute cette période de notre histoire, c’est pour cela qu’à côté du fait historique nous avons mis, selon la préoccupation du jour, la critique ou la réflexion utile à la lutte poursuivie. Nous sommes encore sous le joug posé par Bonaparte à la nation, nous voulons le secouer et nous aurions failli à notre double devoir d’historien et de citoyen, si nous ne l’avions proclamé. Et, s’il faut conclure, nous ne reprendrons pas une à une toutes nos critiques, car ce serait une inutile répétition. Nous plaçant simplement en face des actes du Premier Consul, nous disons qu’ils nous apparaissent avant tout inspirés par son esprit de domination. Par le Concordat, il fait rentrer en France une puissance dominatrice qui l’aidera à asservir le pays ; par les Articles, il pense dominer cette puissance même. C’est son intérêt personnel seul qui le dirige. Mais il se trouve que, sur ce point encore, ses intérêts propres coïncident avec ceux des classes possédantes. Cette bourgeoisie, fille de la Révolution, mais fille repue, rit des prêtres d’abord, — et peut-être même aurait-elle grondé formidablement si la poigne du futur César avait été moins rude… mais que craint-elle, à la réflexion ? On ne lui prendra pas sa terre, le pape en a fait serment ! Elle demeure maîtresse de ce que la Révolution lui a livré. Son temporel est sauf — quant au spirituel, les Articles Organiques sont là comme une barrière mise devant la doctrine ultramontaine… Dès lors, pourquoi ne pas obéir aux désirs de Bonaparte, pourquoi ne pas retourner à l’église ? La morale romaine n’est-elle pas admirable, qui prêche la résignation et la soumission à l’ordre établi sur la terre ? La bourgeoisie sort de la Révolution, riche de biens et de privilèges, et son intérêt veut qu’elle s’allie à la religion catholique romaine qui donne la justification divine de la fortune et des privilèges. C’est inconsciemment peut-être que la bourgeoisie s’est ralliée à l’opinion si nette du Premier Consul, lorsqu’il disait : «…Je ne vois pas dans la religion le mystère de l’incarnation, mais le mystère de l’ordre social ; elle rattache au ciel une idée d’égalité qui empêche que le riche ne soit massacré par le pauvre…[1] »

Et la bourgeoisie, rassurée, se pressa aux fêtes religieuses et se mit à lire avec ardeur les ouvrages de M. de Chateaubriand — comme on vit, il y a peu d’années, la même bourgeoisie reprise d’une même ardeur pour l’œuvre religieusement voluptueuse d’un catholique étranger…

  1. Pelet, Opinions de Bonaparte, p. 223 cité par M. Aulard Hist. polit, de la Rév. franc. p. 734.