Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuer à intriguer avec Mme Turpin de Crissé et les chouans dans des conférences tenues à Candé, près d’Angers, pendant que Bonaparte faisait rechercher l’abbé Bernier par le commissaire des guerres Barré et le priait de négocier avec les prêtres réfractaires. Enfin, dans les derniers jours de l’année 1799 (28 décembre-7 nivôse an viii) était publiée la proclamation aux habitants des départements de l’ouest[1] leur annonçant le retrait de la loi sur l’emprunt forcé, le retrait de la loi sur les otages, l’établissement du simple serment : « Je promets fidélité à la Constitution », la promesse de laisser aux cultes l’exercice des offices consacrés. Un arrêté des consuls ordonnait la remise « des armes de toute espèce, notamment les pièces de canon et les fusils, qui ont été fournis par les Anglais » entre les mains du général Hédouville, et accordait l’amnistie générale aux rebelles. La réponse des chouans à ces mesures ne tarde pas. Frotté déclare qu’il faut faire la guerre à outrance. « C’est, écrit-il, le seul parti qui nous reste pour sauver nos pays, nos armes et notre honneur. » Quant à Georges Cadoudal, « il est en relations avec la nouvelle agence royale de Paris dont son ami Hyde de Neuville est l’âme et qui a formé ce plan : livrer Belle-Isle et Brest aux Anglais ; amener enfin un prince, le comte d’Artois ou le duc de Berry, en Bretagne, avec les auxiliaires russes, débarqués d’îles normandes, et avec le général Pichegru, pour faire déserter les troupes républicaines, tandis que serait provoqué dans la capitale un mouvement insurrectionnel et que la reprise d’armes du Morbihan se développerait à travers tous les départements de la Bretagne[2]. » Le temps passait ainsi, et, loin de déposer leurs armes, les chouans les fourbissaient pour de nouvelles luttes. Bonaparte ne pouvait plus attendre : les campagnes contre l’Autriche allaient s’ouvrir, il songeait à prendre la tête de l’armée de réserve qui devait descendre en Italie, il fallait donc que l’ouest se soumît et promptement, il fallait en finir avec les bavardages de Mme Turpin de Crissé et les atermoiements de toutes sortes. Le 7 janvier, Bonaparte écrit à l’armée d’Angleterre qu’il n’y a plus sous les armes que des « brigands, des émigrés, des stipendiés de l’Angleterre » ; il attend bientôt la nouvelle « que les chefs des rebelles ont vécu. » Le 11, une proclamation du même style est adressée aux habitants des départements de l’Ouest et un arrêté interdit toute négociation avec les « brigands », ordonne « de traiter comme rebelle toute commune donnant asile et protection aux brigands et de passer au fil de l’épée les habitants pris les armes à la main. » Le 14, une nouvelle armée de l’ouest, forte de 60 000 hommes, est donnée au général Brune dont Hédouville devient le lieutenant. Les instructions données à Brune sont énergiques : il doit marcher sur le Morbihan, couper toutes relations entre Georges et l’Angleterre, « brûler quelques métairies et quelques gros villages », « rendre la guerre

  1. Supra, p. 66.
  2. Chassin. Les Pacifications de l’Ouest, III, 518-519.