Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/157

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diamètre, bien enduit de résine, et couvert d’une toile gommée. Cette forme de baril est toute hérissée à l’extérieur de petites protubérances rondes, qui doivent être des balles. En dedans, 6 livres et demie de poudre, des pétards, etc. La machine est adaptée à un fusil qui en est comme le manche. Le bout du canon plonge jusque dans l’intérieur du baril, où le feu devait se communiquer en tirant ce fusil[1]… » Nouvelles arrestations et nouvelles exécutions capitales après comparutions devant une commission militaire, et cela, bien qu’il ait été impossible de trouver trace d’une entente entre Chevalier et ses prétendus complices, Veycer, Humbert, Chapelle, Melge, dans le but d’attenter aux jours de Bonaparte. Chevalier déclara, dès son premier interrogatoire, que sa machine devait être envoyée à Bordeaux pour être mise au service de la marine, et il semble bien qu’ici encore ce soit la police qui ait seule imaginé qu’il y avait complot[2].

Tandis que les ministres du premier consul et le premier consul lui-même rivalisaient ainsi pour savoir qui découvrirait le « meilleur » complot, des conspirateurs véritables et dangereux travaillaient tranquillement dans l’ombre. Le 3 nivôse (24 décembre 1800), au moment où la voiture de Bonaparte qui se rendait à l’Opéra, passa dans la rue Saint-Nicaise, une explosion formidable retentit. La voiture consulaire fut démolie, sept ou huit personnes furent tuées, de nombreuses furent blessées. Le premier consul, qui n’avait pas été atteint, tint à aller se montrera l’Opéra et, rentrant rapidement aux Tuileries se laissa emporter dans la plus violente colère. C’est sans hésitation, sans retenue qu’il crie alors sa haine contre les Jacobins qui seuls ont pu faire le coup. Tandis que Fouché se tait, Bonaparte s’emporte : « On ne me fera pas prendre le change, il n’y a ici ni émigrés ni ci-devant nobles, ni ci-devant prêtres. Je connais les auteurs, je saurai bien les atteindre et leur infliger un châtiment exemplaire. » Le lendemain, ce sont des paroles violentes que le premier consul adresse en manière de remerciements aux chefs des corps constitués venus pour le féliciter. Il menace les anarchistes, les septembriseurs et toujours il répète ; « il n’y a là ni nobles ni prêtres ». C’est ainsi que, sans preuves, sans enquête, avant tout renseignement, il accusait, décidé à frapper des gens que rien n’indiquait comme coupables. Qu’ils le fussent ou non, Bonaparte, du reste, ne s’en souciait pas. On l’a dit, cet attentat valait pour lui une victoire. Il pouvait de nouveau se dresser au dessus de la Nation et indiquer les hommes qui le gênaient, afin de s’en débarrasser. Au Conseil d’État, deux jours après l’attentat, il demande d’organiser la répression contre les menées qui ont abouti à l’attentat. « Il faut du sang, dit-il ; il faut fusiller autant de coupables qu’il y a eu de victimes, quinze ou vingt, en déporter deux cents et profiter de cette circonstance pour en purger la République ».

  1. Archives nationales F7 3702. Cf. idem, AF iv 1302 n° 41, et Fouché, Mémoires, I, 307.
  2. Contra Madelin, o. c, p. 327. Cf. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 723.