Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/164

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peuvent être exprimés que par l’autorité qu’il a spécialement chargée de conserver le parti social, et de maintenir ou d’annuler les actes favorables ou contraires à la charte constitutionnelle ; que, d’après ce principe, le Sénat, interprète et gardien de cette charte, est le juge naturel de la mesure proposée en cette circonstance par le gouvernement ; que cette mesure a l’avantage de réunir le double caractère de la fermeté et de l’indulgence, en ce que, d’une part, elle éloigne de la société les perturbateurs qui la mettent en danger, tandis que, d’autre part, elle leur laisse un dernier moyen d’amendement ; considérant enfin, selon les propres expressions du Conseil d’État, « que le référé du gouvernement au Sénat conservateur, pour provoquer, sur ses propos actés, l’examen et la décision de ce corps tutélaire, devient, par la force de l’exemple, une sauvegarde capable de rassurer par la suite la nation, et de prémunir le gouvernement lui-même contre tout acte dangereux à la liberté publique » ; par tous ces motifs, le Sénat conservateur déclare que l’acte du gouvernement, en date du 14 nivôse, est une mesure conservatrice de la Constitution ». Cette comédie sinistre se terminait par la proscription de 130 républicains. Parmi eux figuraient Charles de Hesse, Destrem, Talot, Félix Le Peletier, Choudieu, de Tissot, Baudray, juge à la Guadeloupe Fournier l’Américain, Rossignol, Jourdeuil, Lefranc[1]

Fouché, qui comptait des amis parmi ces proscrits et qui voulait sans doute en quelque manière paralyser l’effet d’une mesure honteuse à laquelle il avait coopéré, chercha à adoucir le sort de quelques-uns de ces proscrits. C’est ainsi que Félix le Peletier, Charles de Hesse, Talot, ne furent pas déportés, au contraire du malheureux Destrem qui, parti de Paris pour Saintes avec le Peletier et Hesse, le 23 nivôve, fut dirigé sur la Guyane[2]. Cette colonie reçut une quarantaine de déportés qui y moururent à peu près tous. D’autres furent envoyés dans les Seychelles.

L’opinion publique ne se souleva en rien contre ces mesures dictatoriales car tout le monde demeurait persuadé de la culpabilité des républicains. Dans les départements, comme à Paris, la police soutenait le mouvement qui portait à rejeter la responsabilité de l’attentat du 3 nivôse sur le parti jacobin et l’on reconnaîtra le loyalisme administratif qui plaisait à Bonaparte dans cette proclamation du préfet de la Haute-Saône adressée à ses administrés après l’affaire de la rue Saint-Nicaise. « Vous connaissez, citoyens, dit-il, l’antre d’où sont sortis les auteurs de l’invention… Je le sais un petit nombre de ces derniers (des anarchistes) se trouvent disséminés mit la surface de ce département… Quelques-uns d’entre eux habitent l’enceinte de cette commune. J’ai même été instruit dans les journées du 4 et du 5 (nivôse) que les nuits précédentes on les avait entendus hurler en différentes tavernes leurs

  1. On voit sur la liste le nom de Pâris qui était mort depuis six mois !
  2. Voir Destrem. Les Déportations du Consulat et de l’Empire.