Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/165

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cris de joie et de sang. Plusieurs d’entré vous avez eu connaissance de ce fait… » Et, comme il redoutait que la population ne se livrât à des excès contre ces terribles « anarchistes », le préfet ajoutait que si le premier consul était frappé, on s’assurerait à l’instant même « de ces monstres dont la joie atroce se plaît constamment à devancer l’annonce des désastreux événements qui leur sont promis » et ils seraient livrés aux tribunaux. En attendant, les administrés du préfet de Mâcon étaient invités « à lire, dans les regards de ces artisans de tous les crimes, la sentence qu’a déjà prononcée contre eux leur propre conscience. Le sceau du crime est sur leur front : ils ont fait divorce avec la paix de l’âme… ils sont voués pour toute leur vie à l’opprobre et au malheur… » Bonaparte pouvait frapper des malheureux, innocents et désarmés, on l’encourageait à le faire, on l’applaudissait ! Un arrêté du 27 nivôse an IX compléta la dispersion des éléments d’opposition républicaine : aux termes de cet arrêté, 52 citoyens, dont Le Cointre, Sergent, Bayle, Antonelle, se virent frapper d’interdiction de séjour dans le département de la Seine et dans les départements voisins. Dans cet acharnement à anéantir tous ceux qui pouvaient rappeler la Révolution, les femmes mêmes ne furent pas épargnées et l’on vit les veuves de Babeuf, de Marat et Chaumette jetées en prison sans jugement et sans autre cause que le nom qu’elles portaient. En quelques jours, Bonaparte avait écrasé les derniers hommes qui représentaient la démocratie révolutionnaire. Carnot lui-même avait quitté le ministère.

Le 7 pluviôse an IX, Saint-Régent était arrêté et, le 16 germinal, Carbon et lui étaient exécutés (6 avril 1801).

Il était dès lors impossible de faire croire plus longtemps que les républicains avaient été frappés pour avoir trempé dans le complot qui aboutit à l’explosion du 3 nivôse. La police avait tâché de répandre le bruit que le rapprochement s’était fait entre chouans et « exagérés » pour renverser Bonaparte, et cela à plusieurs reprises. Nous avons eu déjà occasion de noter cet « essai ». En voici une autre preuve où il y a des affirmations — entièrement fausses, bien entendu — et qui montre, en dehors de toute réalité du fait exposé, la nouvelle répandue dans le public par les subalternes de Dubois. La police, quand elle n’organise pas elle-même das complots, comme dans l’affaire Arena, en invente, comme dans l’affaire Chevalier, ou les complique, comme c’est ici le cas ! « On a la certitude, dit un rapport du 30 nivôse, que Georges, pendant le séjour qu’il fit à Paris après son amnistie, y vit plusieurs fois les chefs du parti anarchiste ; que, quelques jours avant son départ, il dîna chez un restaurateur avec Félix Le Peletier. Georges était accompagné, à ce dîner, de Margade et autres officiers de Chouans. On croit que Le Peletier avait aussi avec lui des hommes de son[1]

  1. Archives nationales. F7 3702.