Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/213

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écouter quand le pape serait à Paris, il ne voulait rien entendre tant que le pape serait à Rome. Il fallait céder, mais Pie VII, qui craignait tout, ne partit pas sans avoir rédigé un acte d’abdication, tant il craignait d’être retenu prisonnier ! Après un voyage rapide, il arriva à Fontainebleau, où Napoléon le rencontra, ce qui évitait la réception solennelle à Paris.

C’est la veille même de la cérémonie que le pape apprit, non sans étonnement et sans colère, que Joséphine et l’empereur n’étaient pas mariés religieusement ; il fallut que le cardinal Fesch, leur oncle, les mariât secrètement aux Tuileries ! Le 2 décembre 1804, à Notre-Dame, eut lieu le sacre. De cette cérémonie en elle-même nous ne dirons rien : les gens qui y figuraient n’étaient pas encore habitués à la pompe. Napoléon lui-même, voulant parler à Fesch, lui frappa dans le dos avec son sceptre. Il y avait beaucoup d’or, beaucoup de couleurs, beaucoup de mauvais « goût troubadour et rococo ». Le pape n’était là que pour la parade, et l’on sait que l’empereur, au moment du couronnement, lui retira des mains la couronne pour la placer lui-même sur sa tête et qu’il couronna ensuite l’impératrice. Le spectacle de Notre-Dame coûta 663 911 francs, et il ne fut pas le seul donné à l’occasion du couronnement. La ville de Paris offrit des fêtes qui l’endettèrent pour longtemps ; les maréchaux reçurent à l’Opéra, et Mme de Rémusat dit que chaque dame du palais reçut pour ses toilettes 10 000 francs, qui furent loin de leur suffire[1] ». On a calculé que les dépenses du couronnement montèrent à 4 millions. La seule distribution des aigles aux troupes réunies au Champ de Mars coûta la bagatelle de 239 834 francs[2].

Le régime commence ainsi dans une magnificence trompeuse. Le peuple reste frappé par les spectacles qui lui sont offerts, il est pris au mirage de la grandeur et comme grisé toujours davantage par l’extraordinaire fortune de l’empereur. Desmarets, rendant compte de l’esprit public, écrit le 29 frimaire an XIII[3]. « L’importante dignité des fêtes du couronnement, la manière dont l’hommage de la ville de Paris a été fait et accepté ont frappé tous les esprits. L’institution impériale a pris une véritable consistance, non pas par cette joie éphémère, ces espérances factices qui tiennent plus ou moins à l’esprit de parti[4], mais par l’aplomb (sic) du souverain, la grandeur des circonstances que son génie domine et élève. Les hommes qui, par affectation ou de bonne foi, demandaient, il y a peu de mois : « À quoi bon prendre un titre nouveau, etc., etc. », commencent à voir qu’il ne s’agit pas d’un simple changement dans les noms, mais d’un puissant affermissement dans les choses. De leur côté, les hommes à jeux de mots sont déconcertés de toutes

  1. Voyez Baudrillart, Histoire du luxe privé et public, t. IV, 582.
  2. Pendant cette cérémonie, un jeune interne de l’hôpital Saint-Louis, nommé Faure, jeta en l’air son chapeau en criant : « La liberté ou la mort ». Il fut aussitôt arrêté et mis en prison.
  3. Archives nationales, F7 3706.
  4. Comparez avec les termes du rapport fait au lendemain du coup d’État de brumaire, supra p. 17.