Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/212

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ce que contient le Trésor aussi bien que la situation des troupes ou la conduite des préfets. Il fait ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut. C’en est bien fini avec les apparences républicaines, le mot même de République disparaît, et si les monnaies portent encore jusqu’en 1809 « République française » sur leur revers, les actes officiels, les lois sont, dès 1806, promulguées par « Napoléon, par la grâce de Dieu et la Constitution, empereur des Français », et, en 1805, on ne célébrait déjà plus les deux fêtes nationales[1]. Par contre, du jour au lendemain, une cour impériale avait été créée. Les Bonaparte deviennent Altesses. Joseph est grand-électeur, Cambacérès archichancelier, Lebrun architrésorier, Murat grand-amiral. Vingt charges de maréchaux de France sont créées, qui marquent dès l’abord l’empreinte militaire du régime. Il y a quatre maréchaux honoraires : Kellermann, Lefebvre, Pérignon, Sérurier. Parmi les maréchaux en activité, on compte des mécontents, des conspirateurs d’hier, des fidèles : Augereau, Bernadotte, Jourdan, Masséna, Brune, Lannes, Berthier, Ney, Murat, Soult, Davout, Bessières, Mortier, Moncey. D’autres grands dignitaires apparaissent encore : le grand aumônier, Fesch ; le grand écuyer, Caulaincourt ; le grand chambellan, Talleyrand ; le grand veneur, Berthier ; le grand maréchal du palais, Duroc ; le grand-maître des cérémonies, Ségur. Des titres de toutes sortes encore furent distribués à des gens d’ancienne noblesse, et, à des nouveaux venus aux honneurs ; des rentes, des dotations furent distribuées, et, sur la nation écrasée, le luxe de la nouvelle Cour se développa, masquant sous son éclat de mauvais aloi la servilité générale. Ce luxe eut une première fois l’occasion de se manifester pour les cérémonies qui entourèrent le sacre.

Napoléon voulait tenir sa couronne du pape lui-même, et, par l’intermédiaire du légat Caprara et du cardinal Fesch, ambassadeur à Rome, il demanda à Pie VII de venir le sacrer à Paris. L’empereur désirait « que Dieu se fit publiquement son complice dans la personne du pape[2] ». Pie VII et Consalvi, songeant au meurtre du duc d’Enghien, aux bons rapports traditionnels de Rome et de Vienne, ne manquèrent pas de résister à la demande de Napoléon. Précisément l’empereur attaquait les congrégations non autorisées, déclarait dissoutes celles des « Père de la Foi »[3], interdisait les vœux perpétuels, ne reconnaissait comme légales que cinq associations de femmes[4], qui devaient, dans le délai de six mois, faire vérifier leurs statuts par le Conseil d’État. Des poursuites criminelles devaient être intentées contre toute association non autorisée. Pie VII fit des doléances, chercha à éviter l’invitation par tous les moyens, mais ce fut en vain. Napoléon promettait de tout

  1. Voir Aulard, « Quand disparut la première République », dans la Revue Bleue, 10 janvier 1898.
  2. Debidour, Histoire des rapports de l’Église et de l’État en France de 1789 à 1870, p. 234.
  3. Décret du 3 messidor an XII.
  4. Sœurs de la charité, Sœurs hospitalières, Sœurs de Saint-Thomas, Sœurs de Saint-Charles, Sœurs Vatelottes.