Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/224

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proférées par des conscrits épuisés, on répondait stoïquement : « C’est la guerre ». Ces trois mots, écrit encore M. Bonnal, ont une profonde signification philosophique. » Nous y voyons, quant à nous, une dégradante et abominable parole qui cache toutes les oppressions, toutes les violences, tous les crimes. Les soldats battaient les paysans et leur prenaient leur argent : c’est la guerre ! — ils brûlaient les maisons, ravageaient les campagnes : c’est la guerre ! — ils violaient les femmes, violentaient les enfants : c’est la guerre ! Profonde philosophie, en effet, que celle cachée sous ces trois mots. Napoléon, lui, voyait dans tous les actes ignobles que nous énumérons « un mal inévitable, résultat nécessaire des marches forcées et subites », et, comme il n’était pas homme à s’attarder dans des considérations très vaines, puisque, en fin de compte, il ne s’agissait que de vies humaines, il avançait toujours vers son objectif principal : Vienne. Il y entra, sans trouver de résistance, le 13 novembre 1803, mais il ne put empêcher les Russes d’aller se concentrer sous Brunn. Alexandre et François II disposaient de 90 000 hommes et songeaient à enfermer Napoléon dans Vienne, comme lui-même avait enfermé Mack dans Ulm. L’archiduc Charles pouvait, en effet, accourir d’Italie et garder le sud, tandis que l’archiduc Ferdinand, avec l’appui escompté des Prussiens, pouvait paraître au nord. Napoléon ne s’arrête pas ; il détache Marmont pour surveiller Charles, Bernadotte pour surveiller Ferdinand, laisse Mortier à Vienne et marche sur les alliés. Il tient enfin la bataille qu’il désirait depuis longtemps. Elle se déroula au sud de Brunn, dans l’angle formé par la route qui va de Brunn à Vienne et celle qui va de Brunn à Olmutz. Les Austro-Russes avaient leur quartier général dans le petit village d’Austerlitz. Ils occupaient, en avant de ce village, un plateau appelé plateau de Pratzen. Au sud de ce plateau, se trouvent les étangs de Sokolnitz, Zatchan et Mœnitz. Devant Pratzen, et entre le plateau et la route de Brunn, à Vienne, coule une petite rivière, la Goldbach. Napoléon plaça ses troupes de telle sorte que les alliés devaient être tentés de lui couper la route de Vienne. En effet, à gauche, c’est-à-dire vers Brunn, étaient Lannes et Murat ; au centre, en face de Pratzen, Soult et Vandamme disposaient de troupes superbes ; à droite, par conséquent du côté de Vienne et vers les étangs, Davout était seul, et c’est vers lui que l’attaque russo-autrichienne devait porter. C’est du moins ce qu’espérait Napoléon, car son objectif était d’occuper la forte position de Pratzen, et, pour cela, il fallait en faire descendre les ennemis. Le 2 décembre 1805, au matin, les Russes, commandés par Buxhœwden, commencèrent à quitter le plateau de Pratzen pour marcher sur Davout qui battit lentement en retraite. Quand le mouvement de descente russe fut bien accentué, Soult s’élança sur Pratzen et s’y installa pendant que Lannes et Murat, opérant contre Bagration et Lichtenstein, les empêchaient de gagner le plateau. L’artillerie française s’étant installée à Pratzen balaya bientôt le champ de bataille, défonçant la glace des étangs