Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/225

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sur laquelle des milliers de Russes étaient maintenus par un retour offensif de Davout. Les coalisés perdaient 15 000 tués ou blessés, 20 000 prisonniers, 45 drapeaux et 146 canons. François II demanda à signer un armistice qui devait bientôt se changer en traité de paix, car, en Italie, ses troupes étaient battues également : Charles n’avait pu tenir devant Masséna, Jean avait péniblement échappé à Ney, Jellachich avait capitulé à Füssen, Gouvion Saint-Cyr tenait Venise. Austerlitz avait brisé la troisième coalition : les Russes se retiraient, Pitt agonisait, Frédéric-Guillaume félicitait Napoléon. Haugwitz, qui avait été envoyé vers Alexandre et François II pour les assurer du prochain concours de son maître, se hâta d’aller présenter ses hommages au vainqueur. C’était le digne couronnement de toute la politique suivie par la Prusse depuis le début de la coalition, politique d’attente, d’expectative. La police, à Paris, notait l’anecdote suivante[1] : « On est… assuré qu’avant-hier Mme de Lucchesini[2] marquait quelqu’inquiétude à une personne de son intimité. Ces mots lui sont échappés : « Ayez donc des victoires ! Pour Dieu ! Des victoires ! — Mais, madame, est-ce que votre cabinet dépendrait de tel ou tel événement ? — Que voulez-vous, a répliqué Mme Lucch…, la politique des cabinets… Enfin, je vous en prie, des victoires ! » C’est, en effet, tout ce qu’on attendait à Berlin pour se prononcer.

Les négociations pour la paix — qui aboutirent au traité de Presbourg, le 26 décembre 1805 — furent conduites par Giulay et Lichtenstein, au nom de l’Autriche, par Talleyrand, au nom de la France. Talleyrand ne voulait pas que l’Autriche fut démantelée, amoindrie définitivement. « L’Autriche, écrit-il à Napoléon, le 5 décembre, sous le coup des défaites se disloque : un politique prévoyant devrait, en s’alliant à elle, la fortifier, lui rendre confiance, et l’opposer comme un boulevard nécessaire aux Barbares, aux Russes ». Talleyrand prêchait la modération, songeait à l’avenir menaçant, parce qu’il savait que le pays français voulait bien des victoires, mais voulait aussi et de plus en plus la paix, une bonne paix sérieuse, définitive. Or, écraser l’Autriche, ce serait la laisser en état permanent d’hostilité contre nous. Mais qu’importait à Napoléon la paix, la France, la modération ! Il est vainqueur, il est le maître ; ni Talleyrand, ni François II, ni personne ne l’empêcheront d’user — et d’abuser — de sa victoire. Les Habsbourgs perdent le Tyrol, le Vorarlberg, le Brigsau, l’Ortenau, Constance, c’est-à-dire la plupart de leurs provinces allemandes ; en Italie, ils doivent donner au royaume de Napoléon la Vénétie, la Dalmatie, l’Istrie, sauf Trieste, reconnaître la souveraineté italienne de l’empereur français et la légitimité de l’incorporation de Gênes, du Piémont, de Parme et de Plaisance à l’empire. L’ancien empire romain-ger-

  1. Archives nationales. F7 3704, 1er brumaire XIV. — Napoléon dit à Haugwitz : « Voici un compliment dont la fortune a changé l’adresse. » Le 3 novembre, en effet, un traité avait lié à Postdam la Prusse et la Russie.
  2. Femme du ministre de Prusse à Paris.