Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/234

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tant qu’elle en fût une qu’on se hâta de la croire telle. Frédéric-Guillaume de Prusse et Alexandre s’engagèrent à Bartenstein à poursuivre la lutte jusqu’à ce que la France fût ramenée au Rhin (25 avril 1807) et les peuples opprimés sans oser encore se lever songèrent que peut-être l’heure de la délivrance allait sonner. Le frisson d’Eylau est précurseur de celui de Baylen. Napoléon comprit qu’il devait frapper un grand coup, remporter un succès incontestable s’il voulait détruire l’effet de la bataille du 8 février. Il renforça donc ses troupes de corps venus d’Italie avec Masséna et de l’armée du général Lefebvre et attendit l’occasion favorable. Il la trouva à Friedland le 14 juin 1807. Bennigsen, qui disposait de 100 000 hommes, s’était posté dans une situation défavorable qui ne lui laissait pour toute retraite sur Kœnigsberg que les ponts de Friedland jetés sur l’Alle. Il appartint à Ney de tourner l’armée russe tandis que Lannes et Mortier lui tenaient tête. Lorsqu’après une longue bataille Ney parut derrière Bennigsen et coupa les ponts de Friedland, une affreuse panique s’empara des soldats d’Alexandre qui laissèrent encore 25 000 des leurs sur le terrain.

C’était la fin. Alexandre découragé demanda la paix, et une entrevue eut lieu à Tilsitt entre les deux empereurs, sur un radeau au milieu du Niémen. Les tueries sauvages, les misères de toutes sortes, les crimes de toute nature aboutirent à l’accolade des deux autocrates qui décidèrent de se partager l’Europe. Ce fut l’objet du traité de Tilsitt le 7 juillet 1807.

Le royaume de Prusse que Napoléon voulait anéantir fut réduit à quatre provinces : Silésie, Brandebourg Poméranie et Prusse. L’occupation française des terres qui restaient à Frédéric-Guillaume devait se prolonger jusqu’au paiement d’une contribution de 100 millions. Ce qui était enlevé à la Prusse servit d’une part à constituer un grand duché de Varsovie donné à l’électeur de Saxe qui devint roi, d’autre part à créer, avec la Hesse, le Brunswick et une partie du Hanovre, un royaume de Westphalie pour Jérôme Bonaparte. Dantzig devenait ville libre. Le tsar promettait l’observation du blocus continental et par conséquent se retournait contre l’Angleterre qui lui avait fourni les moyens de lutter, qui l’avait assisté de son or. Il est vrai que les Anglais avaient surtout fait agir les continentaux pour se sauver eux-mêmes et qu’ils avaient, après Eylau, refusé de garantir un emprunt russe. Mais si Alexandre abandonnait l’Angleterre, Napoléon laissait Alexandre libre du côté de l’Orient, du côté de la Turquie et de la Perse. Or, précisément, Sébastiani venait de travailler à resserrer notre vieille alliance avec le Sultan, et le général Gardane poussait le Shah à combattre le Tsar. En outre, Napoléon était décidé à laisser les Russes libres d’agir en Finlande, aux dépens de la Suède. En somme, l’empereur français prenait pour lui le midi et l’ouest de l’Europe, l’empereur russe prenait le nord et l’orient.

Napoléon rebâtissait l’Europe, mais à sa guise, sans nul souci des peuples, sans nul souci des lois économiques, politiques et sociales. Au gré de sa fan-