Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

forcés de fermer leurs boutiques. Des agents sûrs ont parcouru aujourd’hui le faubourg Marceau et ont demandé à plusieurs boulangers, qui n’avaient plus de pain, pourquoi ils n’étaient pas pourvus ; tous ont répondu qu’on ne pouvait donner pour 13 sols ce qui en coûtait plus de 14, et on n’aurait pas pas dû rejeter leur pétition. »

Les bulletins de police rédigés au sujet des subsistances ne tardèrent pas à être rédigés sous la rubrique : Agitation. Le 24 fructidor, voici ce que nous lisons : « Dès le matin, on se rassemble chez les boulangers ; on attend à la queue le pain que chaque fournée doit produire. Il en résulte naturellement une plus grande consommation parce que chaque famille, craignant de manquer, s’approvisionne pour plusieurs jours. La consommation s’augmente encore par les exportations[1]… On remarque beaucoup plus de femmes que d’hommes dans les rassemblements. Leurs menaces contre les boulangers sont plus hardies. Quelques-unes se sont permis de dire qu’il fallait abattre une ou deux têtes pour faire peur aux autres. Plusieurs boulangers ont fait tous leurs efforts pour se tenir approvisionnés, ont cuit une ou deux fois de plus dans le jour. D’autres, et même les plus riches, se bornent à leur distribution habituelle et ont soin d’en assurer la totalité à leurs pratiques auxquelles ils vendent les 4 livres 14 sols sans éprouver aucune difficulté ; mais ces livraisons partielles absorbant les journées de ces boulangers, il ne reste rien pour le public. Quelques malveillants insinuent que si le pain est devenu plus rare, c’est parce que le gouvernement a permis l’exportation à l’étranger d’une grande quantité de blés. Mais les plaintes sont généralement dirigées contre les boulangers et les propriétaires de farines. On a dit souvent que, pour exciter une émeute, il suffirait de préparer une disette factice. Jusqu’à présent, les rassemblements ne paraissent pas séditieux et pourraient difficilement le devenir, parce que les factions sont éteintes, les agitateurs sans moyens. La surveillance est continuelle. » Le lendemain, l’agitation persistait et paraissait même s’aggraver. Il fallut, pour la faire cesser, que le gouvernement consentît à laisser les boulangers vendre le pain à 16 sols les 4 livres jusqu’à concurrence de 3 cuissons. En participant à leur perte, il obtint qu’ils livreraient les cuissons supplémentaires pour 13 sols. Des farines tenues en réserve dans les magasins militaires furent mises en circulation et ainsi la place put être approvisionnée. S’il y eut disette ou commencement de disette, il est certain que cela tient, d’une part, à ce que les approvisionneurs ne tenaient pas leurs engagements et spéculaient sur la faim du peuple et, d’autre part, à ce que l’étranger, et en particulier l’Angleterre, attirait des blés hors du territoire. Dans la Brie, les guinées abondaient et le blé s’enlevait à tout prix[2]. Bernadotte écrivait de l’Ouest que l’exportation par les côtes était continuelle et que les cultivateurs, ne considérant que leur béné-

  1. Cf. avec le bulletin précédent.
  2. Archives Nationales. F7 3802.