Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/257

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n’a pas varié. On dit vaguement que quelques boulangers retiennent 14 sols pour 4 livres, lors qu’on leur offre en payement une pièce sur laquelle ils ont à rendre ; qu’ainsi ils ne rendent qu’un sol sur une pièce de 15. Mais si on réclame, il ajoutent le sol qui manque. Ainsi, le prix courant est encore : de 13 sols les 4 livres. » La police devenait optimiste malgré le malaise véritable qui régnait et, dès le 22 fructidor, elle devait s’alarmer : « Les boulangers, mécontents de ce qu’il ne leur a pas été permis d’augmenter le prix du pain, diminuent la quantité qu’ils mettent en vente : hier, plusieurs boutiques étaient vides à midi. Différents rapports annoncent qu’ils se concertent pour fixer d’un commun accord le prix de 4 livres à 14 sols, et fermer leurs boutiques simultanément, si un seul d’entre eux est arrêté. » Et le rapport ajoute cette indication grave « Il y a eu, à Caen, dans le commencement de ce mois, une émeute populaire pour les blés : on força les cultivateurs qui se trouvaient au marché de livrer à moitié prix. Tous ceux des campagnes voisines paraissent s’être prévalu de cet événement pour cesser les approvisionnements de cette ville, et les prix des blés, qu’on y apporte en petite quantité, ont été considérablement augmentés. On craint une nouvelle émeute. »

Chaque jour l’agitation, l’inquiétude augmentaient. Les boulangers avaient collectivement demandé par pétition la permission de hausser leurs prix, mais en vain. « On remarque de l’inquiétude dans plusieurs quartiers de Paris, dit le bulletin du 23 fructidor, sur la rareté du pain. Il a manqué aujourd’hui à 9 heures du matin chez quelques boulangers ; à 10 heures chez d’autres. Le pain est beaucoup plus cher dans les environs de Paris : les 4 livres se vendent 18 ou 20 sols. Il en résulte que les habitants des campagnes, qui viennent avec des charrettes chargées de divers objets, remportent du pain en plus grande quantité dès le matin, les boutiques des boulangers sont plus tôt vides. De là des plaintes et quelques rassemblements parmi lesquels se glissent des perturbateurs. On a entendu dans un groupe un particulier qui disait que le gouvernement, ayant fait le projet d’une descente en Angleterre, y envoyait du blé d’avance pour la subsistance de l’armée. D’autres disaient : Cela ne peut pas durer : on ne se sent plus d’humeur d’aller à la guerre.

« Hier, à 5 heures du soir, un particulier de très mauvaise mine, entra chez un boulanger de la rue aux Ours n°17. Il était en houppelande de gros drap gris, guêtres de la même couleur, chapeau à cornes, on le crut militaire. Voyant qu’il n’y avait plus de pain blanc, il s’exprima en ces termes : « Le peuple est mécontent de vous, vous le faites mourir de faim, mais prenez garde, on tombera sur vous et peut-être avant peu. » Les boulangers persistent à soutenir qu’il est impossible de fournir à 13 sols les 4 livres, si le prix des farines ne diminue pas, si les marchands conservent la faculté de l’augmenter à volonté. On en cite quelques-uns qui ont vendu leurs effets pour acheter des farines et continuer leurs fournitures ; d’autres, qui ont été