Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/267

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Détresse. — Au moment où j’écris, le septier vaut couramment 42 et 43 fr. Il n’est pas aisé d’en avoir. La consommation absorbe journellement tout ce qui est battu dans les fermes. Il n’est peut-être pas un fermier qui ait 100 septiers de blé battu dans sa grange… Le prix ne fera qu’augmenter. Présentement le peuple des petites villes et des campagnes se nourrit avec le blé qu’il a moissonné. Cette ressource aura un terme. Généralement, la moisson du peuple est consommée à la fin de l’hiver, aux environs de Pâques. Beaucoup de batteurs sont employés, ils gagnent du blé ; ils nourrissent leur famille. Mais ce gain aura pareillement son terme. Les petites granges se vident rapidement… [En fin de compte, les gros fermiers se trouveront seuls bientôt à avoir du blé et exerceront un monopole de fait. En conséquence la main d’œuvre augmentera, le salaire de même ; et on verra en outre la neige, la glace arrêter le moulin à eau de la banlieue parisienne, en sorte que, seuls, les moulins à vent pourront fonctionner].

Plaintes. — La détresse enfantera des murmures… Au lieu d’accuser la nature, on accusera, dans une douleur aveugle, ceux qui sont à la tête des affaires. On se souviendra que les blés ont été exportés. On ne saura pas juger que cette exportation pour la majeure partie a été nécessaire en politique, que l’on ne pouvait pas s’attendre à une récolte si modique, que les promesses du printemps étaient superbes… Je suis convaincu que jamais la réputation de force dont jouit le gouvernement ne lui sera plus nécessaire… Il suffira de la faire sentir pour que la turbulence soit enchaînée… Des émeutes ne font pas abonder les blés, ne produisent pas le miracle de la multiplication des pains et ne font que préluder à de grands bouleversements… Dans presque toute la France, mais notamment dans les départements qui entourent Paris, le peuple a l’habitude de ne manger que du pain de froment, il ne consent qu’avec une certaine répugnance à se nourrir de méteil. Il est très rare que le plus petit peuple vive de seigle. Cela est un inconvénient. La subsistance dès lors est uniquement fondée sur une des productions du sol. Si cette production manque, il y a disette. Il serait sans doute plus avantageux qu’il comptât parmi ses aliments plus d’une espèce de grain… [L’auteur remarque qu’en Angleterre la viande joue un grand rôle dans l’alimentation ; en Écosse, c’est le pain d’orge ; en Irlande, la pomme de terre ; en Hollande, en Allemagne, dans les pays du Nord, le pain est mélangé orge et seigle. « Dans toutes ces contrées, si les graines semées en automne n’ont pas bien réussi, on a recours aux graines semées dans le printemps. On a double ressource »]… De tout temps le peuple, lorsqu’il pâtit, tourne ses regards vers ceux par qui il est gouverné ; il attend d’eux assistance contre tous les fléaux. Bonaparte a tout fait. On suppose que tout lui est possible, on l’invoquera dans une crise où naturellement on devrait n’invoquer que le Très-Haut.

« La terre a refusé des blés, on voudra qu’il en trouve… — Secours… On