Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/268

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évalue que la récolte ne va qu’à moitié. D’autres la portent à 5/8. Sur quoi il faut prélever les semences. On présume que le net produit n’ira qu’au 1/3 d’une bonne année. C’est avec ce 1/3 disponible qu’il s’agit d’alimenter la population française. On ne nie pas que quelques cantons n’aient été privilégiés… mais les blés ont, sans contredit, manqué dans tous les départements qui sont près de Paris. Des signes trop certains le décèlent : la rareté et la cherté. Le blé se vend aujourd’hui 43 et 44 francs. Est-il possible de secourir la France entière ? On appellera les blés étrangers. [L’auteur démontre ici à quelles difficultés on se heurte en voulant obtenir des grains étrangers. Il s’appuie sur l’exemple de l’Angleterre, difficile à ravitailler en cas de mauvaise récolte]. Les mers sont libres. Nous tirerons des blés de la Baltique, de l’Elbe, du Weser, de la Sicile, de la Barbarie. Les États-Unis nous enverront peut-être quelques farines ; nous ne négligerons pas de faire venir du riz. Tout cela produira soulagement ; cela ne produira ni l’abondance ni la diminution du prix actuel… Il sera probablement utile d’encourager l’importation par la voie des primes… La sage politique conseillera d’accorder une prime plus forte pour tous les blés qui seront importés sur des bâtiments nationaux. J’avoue à regret qu’on ne doit compter que faiblement sur les premiers efforts de notre commerce. Nos commerçants sont dans la stupeur. Les grandes maisons sont ruinées, les capitaux sont rares, les navires en mauvais état, le crédit précaire… [Le gouvernement fera bien « de passer des marchés avec de gros capitalistes, avec des compagnies, pour être certain d’avoir à temps la provision de blé qu’il estimera nécessaire ».] — Paris… [Paris réclame toute la sollicitude du gouvernement] parce qu’il est le centre de l’autorité, parce qu’il renferme une population immense, parce que cette population a besoin d’être contenue… Il faut que le peuple parisien, brillant, léger et séditieux, soit entretenu des deux choses qui contentaient le peuple d’Auguste. Paris a coutume d’être approvisionné. Il ne l’est pas… Il l’est si peu, que si d’ici à peu de jours les rivières étaient fermées par des glaces, ou si seulement les eaux étaient trop hautes et la navigation interrompue, il y aurait rareté de pain. Le préfet de police a pris un arrêté relatif aux boulangers, rien de plus sage. Mais cela est insuffisant. On exige que les boulangers soient munis d’une certaine quantité de farine. Il faut que la faculté de se munir existe. Or elle peut ne pas exister. [La Belgique doit être le grenier de Paris. Il faut faire venir vers la France les blés du Brabant qui vont en Hollande.] Le gouvernement doit autoriser des achats avant et pendant l’hiver. Aussitôt que la saison le permettra, on transportera les blés achetés. Dès lors, on verra sans inquiétude arriver les mois dangereux de mars, avril et les suivants… »

Au milieu d’une situation aussi difficile que celle décrite par le perspicace auteur du mémoire que nous venons d’analyser, parmi tant de mesures conseillées et prises, Bonaparte s’avisa, comme il avait accoutumé de faire,