Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/321

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« Pour juger à fond cette question des neutres, dit Schlegel, il ne faut pas perdre de vue la nature de la guerre maritime : elle se fait principalement pour les intérêts du commerce ; elle deviendrait tout à fait illusoire, s’il n’était pas permis d’attaquer, par tous les moyens, la navigation commerciale de l’ennemi. C’est ce qui a autorisé l’usage de s’emparer de toutes les propriétés particulières des sujets ennemis, exposées sur mer, ou même de les détruire (ce qui, dans la guerre terrestre, est réprouvé comme une barbarie).

« De deux puissances belligérantes sur mer, la plus faible sera naturellement portée à favoriser les neutres qui peuvent lui rendre les services les plus importants. Les vaisseaux marchands sont-ils confisqués dans ses ports, faute d’escadres assez nombreuses pour les protéger ? Les neutres deviennent ses commissionnaires : ils font le transport des marchandises entre la mère-patrie et les colonies, si on le leur demande, entre les deux pays ennemis même ; et les sujets de la puissance qui a recours à eux ne perdent par cet expédient que les profits du fret, en conservant ceux du commerce.

« Ce serait donc un excellent métier que celui de neutre dans une guerre maritime, si les puissances belligérantes étaient dupes de ces prétendus droits de neutralité, au point de n’y mettre aucune restriction.

« Leurs flottes se morfondraient dans des croisières infructueuses, tout au plus elles livreraient quelque combat à l’ennemi pour l’honneur de leur pavillon : mais tous les profits de la guerre seraient pour des États qui n’en auraient pas voulu partager les risques.

« Il est inutile, pour éclaircir cette matière, de remonter aux principes du droit naturel, dont les décisions sont souvent vagues sans le concours du droit positif fondé sur les traités, et surtout insuffisantes pour des relations aussi compliquées que celles du commerce entre les nations civilisées. Les droits de la neutralité ne pourront donc être limités que par le conflit entre les désavantages réciproques et ceux d’une rupture. Pour les puissances belligérantes, il s’agira de savoir s’ils doivent préférer la guerre déguisée que leur font les neutres à une guerre ouverte ; pour les États neutres, s’il vaut mieux soumettre leur navigation à quelque gêne, ou l’exposer tout entière. »

« On accorde généralement aux belligérants maritimes le droit d’empêcher l’importation de contrebande de guerre chez l’ennemi, et celui de bloquer un ou plusieurs de ses ports, ce qui, en cas de contravention, implique la confiscation des bâtiments neutres. Il ne s’est élevé de dispute que sur le droit d’enlever des propriétés ennemies sur les vaisseaux neutres et par conséquent de les visiter, et sur le blocus des côtes. »

« Pendant la guerre d’Amérique, la neutralité armée proclama le principe « que le pavillon couvre la marchandise ». L’Angleterre ne reconnaîtra jamais ce principe, et elle a raison de ne pas le faire : cette prétention poussée à la rigueur, non seulement mettrait les puissances belligérantes à la