Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/322

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discrétion des gouvernements neutres pour ce qui regarde la contrebande de guerre, mais elle pourrait servir à conduire dans des vaisseaux de transport neutres des troupes de débarquement en pleine sécurité jusque sur les côtes ennemies. Le blocus d’une côte ne diffère en rien de celui d’un port que par l’étendue de la mesure. Si on a les moyens de la prendre, pourquoi n’en aurait-on pas le droit ? »

La citation paraîtra peut-être un peu longue ; mais elle était utile à faire et particulièrement édifiante : elle témoigne d’un étonnant cynisme dans l’exposé de la doctrine, seulement basée sur les droits du plus fort. Quel dédain pour les droits naturels et pour le droit des gens, quel mépris suprême pour toute autre considération que celle du désavantage ou du profit !

Et voilà comment se règlent les destinées des peuples jetés les uns sur les autres par des gouvernants dont l’intérêt est la seule règle de conduite et auxquels des scrupules de moralité apparaissent comme une duperie.

Proclamons-le toutefois, à l’honneur de la nation anglaise, il n’y avait pas unanimité dans ces tendances belliqueuses et il faut se souvenir avec reconnaissance des protestations de Fox qui, plus d’une fois, dénonça avec indignation les hypocrisies de ses compatriotes, et flétrit les appétits jamais satisfaits des marchands affamés d’or.

« Je suis certain, disait-il en 1802, que les manufactures anglaises l’emporteront quand la lutte s’établira entre elles et les manufactures françaises. Qu’on les laisse donc essayer leurs forces : mais c’est à Manchester et à Saint-Quentin que la lice est ouverte… Une partie de notre commerce souffre : cela est possible : mais cela s’est vu à toutes les époques… Les industries développées par la guerre doivent rentrer à la paix dans des limites plus étroites. Que faire à cela ? Devons-nous verser le sang de la nation anglaise pour la cupidité de quelques marchands affamés d’or ! »

À rapprocher ces sages paroles des clairvoyants avis que nous avons trouvés plus haut dans la bouche de Colbert.

Mais la fièvre de l’or, la rapacité capitaliste ne connaissent point d’obstacles et ne se laissent point arrêter par des arguments d’ordre sentimental ; Fox ne devait pas être écouté et les excitations de Pitt avaient bien plus d’écho dans l’opinion publique, toujours très disposée à applaudir ceux qui flattent ses passions.

Ce n’est certes pas du côté de Napoléon qu’on pouvait attendre la modération, d’autant plus que, comme les industriels anglais, les manufacturiers français témoignaient d’une égale impatience. Encore un coup, nous ne sommes point suspects d’indulgence excessive pour Bonaparte, mais il