Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/342

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Schlegel, dont nous avons cité déjà l’ouvrage si curieux s’exprime là-dessus en termes très formels qu’il faut reproduire : hélas, les occasions ne sont pas fréquentes qui nous permettent de trouver l’expression de l’opinion publique, si impitoyablement muselée sur la presque totalité du territoire européen.

Schlegel, rappelons-le, écrit en 1813 ; son témoignage, par conséquent, est précieux à retenir :

« Les admirateurs de Bonaparte, dit-il, comme défenseurs officieux de cet anathème général contre le commerce anglais, soutiennent qu’il doit tourner à l’avantage du commerce intérieur et de l’industrie agricole et manufacturière du continent ; ils se fondent sur ce que l’Angleterre a elle-même une quantité de lois prohibitives sur l’importation de l’étranger. Il faut d’abord remarquer que l’exportation aussi est anéantie par le système continental, puisque celle pour l’Angleterre est interdite par le décret de blocus, et qu’il n’y a point de marine pour protéger le reste de la navigation des pays qui sont en état d’hostilité contre elle. Le transport par terre à de grandes distances est tellement coûteux qu’il rend le débit de beaucoup d’espèces de productions absolument impossible, et les canaux qui doivent suppléer à la navigation extérieure ne sont jusqu’ici que de magnifiques projets. Ensuite les mesures prohibitives à l’égard de l’importation, prises avec les précautions et les modifications convenables, peuvent avoir un bon effet, lorsque dans un pays il y a déjà un mouvement progressif d’industrie et de prospérité ; car il est clair qu’il faut des capitaux disponibles ou du moins des épargnes pour améliorer l’agriculture et l’exploitation des productions naturelles, pour fonder des manufactures et les perfectionner ; rien de tout cela ne se fait sans de grandes avances. Mais quand les villes maritimes, naguère si opulentes, sont totalement ruinées par la fermeture de leurs ports ; quand toute espèce d’industrie est écrasée par le poids des impôts : quand la guerre, moins économe de la vie humaine que jamais, fait continuellement des saignées à la population, et enlève chaque année une grande partie de la jeunesse aux travaux utiles ; alors la prohibition subite et générale des importations auxquelles on s’était habitué depuis longtemps ne peut conduire qu’à des résultats fâcheux. Les manufactures indigènes, délivrées de la concurrence, fourniront des marchandises chères et de mauvaise qualité : une cherté artificielle et disproportionnée avec les moyens d’acquérir s’étendra sur toutes les denrées ; ne pouvant plus atteindre aux jouissances accoutumées, tout le monde se résignera aux privations ; le défaut de consommation diminuera la recette des impôts indirects, et forcera le gouvernement d’en rehausser le tarif, ou, s’il est possible, d’en inventer de nouveaux ; la misère et la dépopulation augmenteront dans une progression effrayante. Aussi la France et tous les pays soumis à son régime s’appauvrissent-ils à vue d’œil. Que l’on