Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/341

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dans les requêtes des gros industriels un prétexte à satisfaire son ambition effrénée ; que, d’autre part, la bourgeoisie capitaliste cherchait depuis longtemps à entraîner notre pays dans des guerres de tarifs qui devaient fatalement aboutir à de meurtrières campagnes militaires. Et il arriva, dès lors cette chose extravagante : tandis que les spéculateurs s’enrichirent, une industriels, des commerçants acquirent de grosses fortunes, se firent construire de splendides hôtels et reconstituèrent d’énormes propriétés immobilières, les masses populaires étaient réduites à la misère par la rareté des denrées, la cherté de tous les produits nécessaires à l’existence, et ce furent pourtant ces dernières qui, alimentant les armées impériales, se firent décimer pour emplir les coffres-forts capitalistes.

Extravagante ! disons-nous ; mais non, en vérité. Les pauvres gens du commun, après avoir jonché de cadavres tous les champs de bataille du monde pour satisfaire l’orgueil ou le fanatisme des princes, ne faisaient, en somme, que rester fidèles aux traditions séculaires ; seulement, ils allaient dorénavant se faire tuer au service des rois de l’usine et des barons de la finance.

Les guerres économiques inaugurées au blocus continental ne cesseront plus désormais d’ensanglanter tout le xixe siècle ; et, quand l’Europe trop meurtrie semblera lasse de massacres, c’est vers les continents lointains que la bourgeoisie capitaliste organisera des expéditions et exigera des tueries ; l’aube même du xxe siècle se lèvera sur de terribles conflits, voulus à Cuba et aux Philippines par les grands sucriers, imposés dans l’Afrique du Sud par les trafiquants d’or, suscités aux confins de la Chine par la spéculation cosmopolite, si bien que se trouve, hélas, réalisée avec une singulière précision la parole prophétique de Blanqui :

« Lorsqu’il a organisé la misère et la mort dans son propre pays, le capitaliste court aux plages les plus lointaines porter l’ivrognerie, le vol, le brigandage et l’assassinat. Après la traite des noirs, la traite des jaunes. Il a fait de la race blanche un légitime objet d’exécration pour les quatre cinquièmes du genre humain. »

Peut-on dire, au moins, pour en revenir au blocus continental, que les riches négociants et les gros industriels profitèrent largement de cette politique violente et que des flots d’or amenés en notre pays compensèrent dans une certaine mesure les flots de sang qui coulaient par toute la terre ?

Mais non ! et c’est une constatation qu’il faut faire tout de suite : à de rares exceptions près, le régime prohibitionniste, d’un côté et de l’autre de la Manche, ne tarda pas à devenir funeste pour ceux-là mêmes qui l’avaient sollicité.

Il nous faut encore ici entrer dans quelques détails et rechercher, après les conséquences politiques du blocus, ses répercussions économiques.