Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/344

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d’aisance par des administrations éclairées et une longue paix. Depuis quarante ans, ce pays n’avait été le théâtre d’aucune guerre ; il resta tranquille même pendant celles de la Révolution jusqu’en 1806. Les villes hanséatiques étaient plus florissantes que jamais, parce que le commerce, expulsé de la Hollande, s’y réfugia en grande partie. Dans l’espace de six années, à compter de la guerre de Prusse, ou de neuf depuis l’occupation du Hanovre, tout le nord de l’Allemagne a été ruiné de fond en comble. Un calculateur exact s’est attaché à prouver que, malgré la prétendue prospérité des finances, dont les ministres de Napoléon font parade, un déficit existe dans ses recettes qu’il est constamment forcé de combler par des entreprises guerrières, n’osant pas diminuer son état militaire, et ne pouvant pas l’entretenir avec les moyens de son propre trésor…

« En résumé, termine Schlegel, les suites infaillibles du système continental pour chaque État qui s’y livre, sont : la ruine du commerce et de l’industrie, des impôts accablants, le renversement de toutes les formes constitutionnelles, des guerres interminables pour le compte d’autrui, aussi dispendieuses que meurtrières, des armées devenues étrangères à leur patrie, et toutes prêtes à tourner leurs armes contre leurs concitoyens ; des princes incapables de protéger, doués d’un pouvoir sans bornes pour opprimer leurs sujets, et tremblant à leur tour devant le maître ; enfin, au milieu de la terreur, de la misère, de l’ignominie, l’obligation d’ériger des arcs de triomphe et de chanter les hymnes de l’adulation.

Le morceau est vigoureux et le tableau saisissant. Mais, à la vérité, on le sent écrit par un homme dont la plume est peu soucieuse de rester impartiale et nous avons besoin de contrôler des assertions si véhémentes.

La plupart, disons-le, résisteront au plus scrupuleux examen et, dans l’ordre économique comme dans l’ordre politique, nous constaterons les désastreux effets du blocus continental. Toutefois, le réquisitoire de Schlegel pèche par deux côtés : d’abord parce qu’il néglige d’indiquer la responsabilité de l’Angleterre dans le régime douanier imposé à l’Europe entière ; ensuite parce qu’il laisse tout à fait de côté certaines conséquences plus favorables du système prohibitif.

Les bons résultats en furent relativement rares, nous en convenons volontiers ; encore importe-t-il de les signaler pour demeurer tout à fait équitable.

Certains progrès industriels furent réalisés en France grâce au régime institué qui surexcitait certaines initiatives et favorisait l’effort des inventeurs.

D’abord, nous l’avons vu, l’industrie du coton prit un rapide essort en 1812, le nombre des broches dépasse un million avec une production de prés de onze million de kilogrammes. Il y a 70 000 métiers à tisser et le commerce du coton peut être évalué à 190 millions de francs : prospérité d’ailleurs