Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/345

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éphémère, car nous avons vu, par l’exemple de Richard-Lenoir, que les droits prohibitifs finirent par tellement raréfier la matière premiers qu’il fallut fermer les usines et que la ruine succéda à la prospérité. Le tissage des laines se développe aussi avec quelque rapidité et, à Sedan, 18 000 ouvriers sont employés sur 1 550 métiers, tandis qu’à Carcassonne 9 000 ouvriers fabriquent plus de 12 000 pièces de drap.

La fabrication du lin était non moins active, et Saint-Quentin, Valenciennes, Cambrai et Douai connurent de beaux jours.

La même époque fit naître aussi la préparation de la garance et du bleu de Prusse.

Mais des efforts inouïs furent surtout mis en œuvre pour remplacer le sucre de canne si formidablement taxé : on chercha le sucre partout où il pouvait être : dans le miel, dans les châtaignes, les pommes de terre, le maïs, le mûrier, dans le varech, les pommes et les poires, dans les cerises, les prunes, les figues et les raisins.

Le sucre de raisin eut même son heure de vogue et fut très encouragé : en 1810 et 1811, deux millions de kilogrammes furent fabriqués.

Mais son usage disparut bientôt, car il produisait une mélasse désagréable, impossible à cristalliser.

C’est alors que fut ouverte, en 1810 également, la première fabrique de sucre de betterave, installée dans le département du Doubs par un sieur Scié profitant des essais de Delessert à Passy.

À cette nouvelle, la joie de Napoléon devient débordante, il croit l’Angleterre vaincue :

« Quel coup porté à cette nation si fière de son monopole et de ses colonies, s’écrie-t-il. » et il court décorer Delessert, de ses propres mains.

Aussitôt des primes sont accordées au sucre de betteraves dont la culture s’étend rapidement à 32 000 puis à 100 000 hectares ; des écoles spéciales de fabrication sont établies à Pantin, à Douai, à Strasbourg, à Castelnaudary, à Wachenheim et bientôt plus de quarante fabriques s’élèvent sur toute l’étendue de l’Empire.

Ainsi débuta en Europe cette industrie sucrière qui devait, en moins d’un siècle, se développer avec un si prodigieux élan qu’au commencement du xxe siècle, l’Amérique est à son tour obligée de se protéger contre l’invasion du sucre de betterave comme l’Europe s’était jadis fermée à la pénétration du sucre de canne. N’avons-nous pas vu, il y a un an à peine, les États-Unis frapper d’un droit exorbitant l’importation des sucres russes dont la production surabondante menaçait d’écraser son marché ?

Mais, pour quelques industries favorisées (nous reviendrons ultérieurement avec plus de détails sur la situation industrielle, de la France sous le premier