Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Cette manie d’acheter des denrées par spéculation pourra parcourir encore beaucoup de degrés, mais on ne saurait y remédier.

« En mettant ces considérations sous les yeux de Sa Majesté, le ministre se permet de lui faire remarquer que s’il était possible de frapper de quelque crainte les hommes cupides qui se livrent sans frein, non au commerce, mais au monopole des denrées coloniales, on leur inspirerait quelque prudence, et que peut-être se hasarderaient-ils moins, d’abord à garder en magasin, et ensuite à payer trois ou quatre capitaux pour un. Mais, en indiquant ce remède, le ministre convient qu’il ne sait ce qu’il faudrait faire ou ce qu’il faudrait dire. Il sait par dessus tout que Votre Majesté seule pourrait trouver et réaliser de semblables ressources. Jusque-là, il faut se résigner à voir le désordre subsister et probablement s’accroître ».

Et la misère allait grandissant encore de jour en jour pour aboutir à la terrible crise de 1811, où la classe ouvrière connut ses pires souffrances, et l’industrie nationale ses plus redoutables épreuves. Les maisons les plus solides en apparence ne vivaient que de crédits fictifs, et les débouchés étaient toujours insuffisants pour les produits fabriqués qui encombraient le marché ; à Paris, à Lyon, à Marseille, à Rouen, Lille, Amiens, Mulhouse et Saint-Quentin les faillites succédaient aux faillites, et les banqueroutes jetaient La panique sur toutes les places ; les prêts consentis en grand nombre par le gouvernement aux industriels prêts à sombrer, demeuraient inefficaces, aussi bien que les commandes de soieries adressées en toute hâte par ordre de l’Empereur. Le désastre fut immense, et, sauf pour quelques spéculateurs éhontés, qui édifiaient des fortunes sur la misère publique, le système du blocus fut, à cette époque, pour l’ensemble de la nation, un exécrable fléau ; il apportait en même temps d’interminables guerres à l’extérieur, la ruine et le désespoir à l’intérieur ; ce furent les premiers bienfaits de la politique capitaliste qui venait d’être inaugurée.

Les effets de ce régime prohibitionniste furent-ils aussi désastreux pour l’Angleterre ? Cela ne paraît pas douteux, et la meilleure réponse à la question se trouve dans une belle page, que nous détachons pour le lecteur, d’une remarquable étude écrite par M. Sajous dans l’Histoire générale de MM. Lavisse et Rambaud.

« Pendant les premières années de cet étrange régime, dit l’historien, le commerce britannique en avait autant profité que souffert. La contrebande des soi-disant neutres ou des smoglers anglais pénétrait quelquefois sur les côtes de France, largement et puissamment sur les côtes de la Hollande, de la Russie et de l’Allemagne du Nord. La guerre d’Espagne et la complète possession de l’Océan ouvraient aux manufactures anglaises l’immense débouché des colonies espagnoles. Aussi la production industrielle loin de se