Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/35

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vait à Bonaparte : « Vous avez eu le dévoûment de Curtius, vous aurez la sagesse de Solon. »

Une dernière mesure vint rassurer les républicains, nous voulons parler de l’envoi en province de vingt-quatre représentants du nouveau gouvernement. Le procédé était nettement « révolutionnaire », classique, pour ainsi dire. Mais il y avait de la différence entre les pouvoirs des représentants du Comité de salut public et ceux des représentants consulaires. Ceux-ci, nommés en vertu de la loi du 19 brumaire, comprenaient — et c’était là l’habileté — plusieurs anciens conventionnels, dont la présence en province était un gage certain donné à l’opinion républicaine : Jard-Panvillier, Mallarmé, Pénières furent du nombre des envoyés, et aussi Barré, Crochon, Lecointe-Puyraveau, Fabre de l’Aude. Leur mission était d’expliquer le coup d’État et d’amener les provinces à adhérer complètement au programme de « conciliation » que nous connaissons. Voici, telle que M. Aulard l’a copiée aux Archives, la note qui leur fut remise contenant leurs instructions secrètes :

1° Recommander partout l’union, la concorde, la proscription de toutes les dénonciations et qualifications odieuses, le sacrifice des haines et des ressentiments particuliers, la réunion de tous les vœux, de toutes les opinions pour la consolidation de la République.

2° Mettre beaucoup de douceur et de modération dans tous les actes et les discours publics et particuliers.

3° N’user qu’avec la plus grande circonspection de la faculté accordée de suspendre et de remplacer provisoirement les fonctionnaires publics, à moins que cette mesure ne soit reconnue indispensable. Se borner à donner des renseignements.

4° Les renseignements doivent être très circonstanciés et motivés ; ils comprendront principalement ce qui peut éclairer le gouvernement sur les changements à faire dans les administrations centrales.

5° Éviter de se trouver en conflit avec les administrations et autorités militaires.

6° Laisser intacte la composition des tribunaux, mais donner cependant des renseignements sur ce qui les concerne.

7° Recommander avec la plus vive insistance aux administrations centrales de s’occuper de la réparation des routes et de faire exécuter rigoureusement les clauses des adjudications passées avec les fermiers du droit de passe.

8° Se dispenser d’aller dans les départements où tout est tranquille et va bien — et revenir le plus tôt possible. (Aulard, Études et leçons sur la Révolution française, II, 240-41).

Ce retour ne tarda pas en effet : dès le 4 nivôse, un arrête rappela les représentants. Leur tâche ne fut pas au reste très pénible, car nous savons combien fut faible la résistance au coup d’État. C’est tout au plus s’ils eurent à