Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/36

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intervenir pour enrayer un mouvement d’anarchie rurale fomenté par les royalistes dans la Sarthe, le Loiret, la Haute-Saône, la région du Nord et même les environs de Paris, où l’on vit les paysans refuser l’impôt et déclarer que Bonaparte avait aboli pour toujours et les contributions et la conscription. Pauvres gens, éternellement joués, dupés et trompés par les propagateurs de fausses nouvelles heureux de demeurer dans l’ombre, tandis qu’aveuglément ils combattent pour une idée qu’ils trouvent bonne, puisque c’est la promesse de plus de paix et de plus de liberté.

En somme la politique « d’ordre intérieur », poursuivie par le Consulat provisoire, nous apparaît comme appuyée surtout sur l’opinion républicaine. Les royalistes, s’ils en avaient douté quelque temps, furent bientôt plus exactement renseignés par les circulaires ministérielles comme celle de Laplace : « Ne négligez aucune occasion de prouver à vos concitoyens que la superstition n’aura pas plus à s’applaudir que le royalisme des changements opérés le 18 brumaire » (30 brumaire an VIII), ou celle de Fouché : « Que ceux qui croient encore aux chimères du rétablissement de la royauté en France apprennent que la République est aujourd’hui affermie… Que les émigrés trouvent, s’ils le peuvent, le repos et la paix loin de la patrie qu’ils voudraient asservir et détruire ; mais cette patrie les rejette éternellement de son sein » (6 frimaire an VIII). Dès lors, la réaction se contente d’applaudir bruyamment à des mesures partielles comme le retrait de la loi des otages, dont nous avons parlé plus haut et que personne ne songeait à blâmer, ou encore la suppression de l’emprunt forcé dont les deux Conseils s’occupaient déjà avant le 18 brumaire. La réalisation en fut hâtée, parce que c’était pour le gouvernement le seul moyen d’avoir tout de suite de l’argent. Il fallait qu’il pût se tourner vers les financiers complices du coup d’État et leur demander des fonds ; supprimer l’impôt progressif qui les frappait rudement et obligeait les capitaux à se cacher, c’était leur donner en gage la bonne volonté du gouvernement. Aussi le ministre Gaudin eut tôt fait de présenter à la commission des Cinq-Cents (25 brumaire) un projet portant suppression de l’emprunt forcé et son remplacement par une taxe de vingt-cinq centimes qui devait être ajoutée aux trois contributions : mobiliaire, foncière, somptuaire. Si quelqu’un pouvait encore conserver un doute sur la raison d’une telle rapidité dans l’exécution de cette réforme. Cabanis, dans son discours aux Cinq-Cents, se chargea de le dissiper. Le Moniteur du 28 brumaire nous donne une analyse de ce discours. Le sens général est celui-ci : nous voulons de l’argent, il est dans les mains de gens assez peu recommandables, mais il nous faut fermer les yeux ; votez la mesure qui vous est proposée et les capitalistes nous donneront leurs capitaux. « C’est à tirer le meilleur parti des hommes, des choses et des circonstances, tels qu’ils sont les uns et les autres, que consiste la sagesse du législateur, aussi bien que le talent de l’administrateur. » L’abrogation fut chose faite le 28 bru-