Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/370

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En face des libéraux, les réactionnaires s’organisent et font une opposition désespérée à toutes les tentatives de réformes, usant presque constamment d’un argument redoutable et déclarant attentatoires au dogme catholique les mesures les plus timides.

Toutefois la résistance de ces enragés réacteurs se brisa contre l’opiniâtre volonté des libéraux et quand, en 1811, les Cortès se transportèrent à Cadix, ce fut pour y accomplir de grandes et belles choses : les droits seigneuriaux sont incorporés à la couronne, le vasselage est supprimé, les privilèges de chasse, de pèche, de fourneaux, de pacage, de pâturage sont abolis et, sous les coups répétés de l’orateur Berreros, les derniers vestiges de la féodalité s’écroulent.

Ainsi fut votée la constitution de l’an XII dont nous ne pouvons exposer les détails, mais qui déclarait le service militaire obligatoire pour tous, qui reconnaissait en principe la liberté de la presse et promettait d’assurer le développement de l’instruction publique par la propagation des écoles primaires.

C’était là, n’est-il pas vrai, un magnifique résultat, d’autant plus admirable que l’assemblée délibérait en face de l’invasion étrangère et que naturellement les adversaires des réformes exploitaient contre elles les passions patriotiques, en essayant de faire croire que l’honneur national espagnol était intéressé à repousser tout ce qui venait de France, les idées, comme les armées !

Hélas ! il y réussirent bientôt avec d’autant plus de facilité que les Cortès avaient reculé devant le plus terrible ennemi qu’ils avaient à combattre. Pour n’avoir point voulu rompre avec l’Église, les libéraux espagnols préparaient le retour offensif de la réaction et de nouvelles épreuves pour leur malheureux pays.

Toutes ces épreuves, celles d’hier comme celles d’aujourd’hui, ne viennent-elles pas de ce que l’Espagne aura toujours son sort étroitement rivé à celui de la religion catholique : « Étrange préoccupation, s’écrie avec force M. Hubbard, que celle d’un blessé adorant l’épée qui le frappe. »

Les agissements des moines et des prêtres finirent enfin par prévaloir et, sous la pression de l’opinion publique égarée, la dissolution des Cortès est prononcée et des élections ont lieu qui donnent une majorité redoutable à l’élément réacteur.

Réunis à Madrid le 5 janvier 1814, les nouveaux Cortès se bornent à négocier le retour de Ferdinand VII qui, au mois de mars suivant, rentre en Espagne, décidé à briser toute l’œuvre d’émancipation accomplie en son absence ! Mais quand même, nous le disions plus haut, il resta quelque chose de l’effort révolutionnaire accompli, et sinon les institutions, du moins quelques âmes en gardèrent l’empreinte ineffaçable.