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CHAPITRE III

Cinquième coalition.

LA CAMPAGNE D’AUTRICHE

Depuis la paix de Presbourg (1805), qui lui avait infligé une mutilation et une cruelle humiliation, l’Autriche n’avait cessé d’être le centre de l’agitation antinapoléonienne, et la cour de François II était tout entière acquise au parti de la guerre. On n’attendait qu’une occasion de prendre une revanche impatiemment désirée, et la malheureuse aventure d’Espagne apparut à tous marquer l’heure décisive des prochaines hostilités.

En mars 1809, les armements furent poussés avec une prodigieuse activité et, dès cette époque, cent vingt mille combattants, au moins, étaient prêts à entrer en campagne, sous les ordres de l’archiduc Charles, de l’archiduc Jean, de l’archiduc Ferdinand, des généraux Jellachich et Stoichewitz. Une milice territoriale, la landwehr, fut créée par surcroît, et l’impératrice, aidée par les dames de la haute aristocratie, brodait de ses propres mains les drapeaux des régiments.

Les efforts diplomatiques secondaient, sans répit, les préparatifs militaires, et François, en personne, multipliait les négociations pour essayer de détacher de notre alliance le czar Alexandre, singulièrement hésitant entre ses engagements si récents d’Erfurt et son désir de se débarrasser d’un allié trop encombrant. Napoléon n’ignorait rien, comme on pense, ni de ces préparatifs, ni de ces intrigues, et lui aussi, revenu précipitamment d’Espagne, en 1809, travaillait hâtivement à la constitution d’une formidable armée.

Jamais, peut-être, la tyrannie impériale n’atteignit un tel degré d’arbitraire ; jamais la conscription ne causa de plus terribles saignées dans la nation, jamais en tous cas, elle ne se fit avec plus de brutalité et de cynisme.

Napoléon appelle non seulement le contingent de 1809, mais encore il enrôle deux classes à l’avance et rappelle trois classes libérées.

À ces troupes, à ces recrues soudainement réunies, il fallait des officiers et des sous-officiers ; mais Napoléon n’était point embarrassé de trouver de nouveaux cadres, tant son imagination était féconde en monstrueuses inventions. En Espagne, déjà, il avait eu l’idée d’arracher à leurs études, dans tous les lycées de France, les adolescents les plus robustes pour les envoyer à la guerre : il fallait de la chair fraîche pour les canons insatiables !

Au mois de décembre 1808, il donne l’ordre à Fouché de dresser une liste de dix familles par département et de cinquante pour Paris, désignées parmi