Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur « l’Église et l’État », Debidour fait un tableau saisissant de cette servilité du monde ecclésiastique dans les premières années qui suivirent le Concordat.

« De même, dit-il, que les nobles émigrés, sûrs de sa faveur, accouraient en foule dans ses antichambres, les réfractaires d’autrefois, certains de sa bienveillance, briguaient les honneurs ecclésiastiques dont il était le dispensateur. Les Boisgelin, les Boulogne, les Pradt et tant d’autres, qui jadis s’étaient gendarmés si fort contre la tyrannie de l’Assemblée constituante, baisaient avec attendrissement une main que le sang du duc d’Enghien souillait encore. « Il n’y a rien, disait brutalement Napoléon, que je ne puisse faire avec mes gendarmes et mes prêtres. » De fait, les prêtres ne le servaient pas moins aveuglément que les gendarmes. Les évêques entretenaient, avec un zèle vraiment administratif, les sujets de l’Empire dans l’obéissance, comme dans l’admiration. Certains d’entre eux, comme Bernier, servaient d’auxiliaires à la police ou lui fournissaient des agents. Tous, par leurs mandements, s’attachaient à fortifier l’amour du prince dans le cœur des sujets. Ces mandements, du reste, étaient rigoureusement soumis à la censure préalable du ministre des cultes, qui parfois en fournissait lui-même le canevas aux évêques.

« Ils célébraient par ordre, et toujours sur le mode lyrique, les victoires, les traités, les lois du maître ; la guerre, la paix, tout leur était matière à panégyrique. Les curés, sous leur surveillance, avaient pour tâche d’anathématiser les Anglais, ces hérétiques, et de démontrer aux populations rurales les bienfaits de la conscription. Si quelques-uns se montraient tièdes dans le service ou se permettaient parfois un léger blâme, une allusion déplaisante, l’empereur ne tardait pas à l’apprendre ; ces mal-pensants étaient vite mis hors d’état de mal faire par le ministre de la police qui, sans forme de procès, comme au beau temps de l’ancien régime, les embastillait à Vincennes, à Fenestrelles, à l’île Sainte-Marguerite ou dans quelque autre prison d’État. Point de concert possible entre les membres du clergé. L’empereur ne souffrait guère qu’ils s’assemblassent. Il ne voulait pas non plus qu’ils lussent ou qu’ils écrivissent trop. S’il avait à peu près étranglé la presse laïque, ce n’était pas pour rendre la vie et la liberté à la presse ecclésiastique. Nous voyons par sa correspondance qu’il en vint, au commencement de 1806 à prescrire que toutes les publications périodiques ayant un caractère religieux fussent réunies en une seule, le Journal des Curés, qui parut alors sous l’étroite surveillance de la police. La même année, il instituait en principe l’Université, et décidait que les emplois ecclésiastiques de quelque importance (comme les cures de première classe) ne seraient donnés qu’aux candidats pourvus des grades qu’elle seule avait le droit de conférer, ajoutant que ces grades pourraient être refusés aux postulants connus pour avoir des idées ultramontaines ou dangereuses à l’autorité. On sait, du reste, que