Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/400

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royaumes, pour intimider le tsar et lui faire perdre le profit de ses alliances. Mais celui-ci, qui n’était point dupe de ces démonstrations théâtrales, faisait demander, au même moment, et plus catégoriquement que jamais, une réponse aux propositions transmises par Kourakim. Ces nouvelles insistances n’eurent point d’effet, et l’ambassadeur dut demander ses passeports. La rupture était un fait accompli.

Vainement Lauriston dépêché par Napoléon auprès du tsar à Wilna, arrivait-il avec des promesses d’accommodement, Alexandre ne consentit même pas à le recevoir. Moins de quinze jours après, le ministre des relations extérieures, M. de Bassano, avertissait M. de Lauriston d’avoir à demander, à son tour, ses passeports en raison de l’attitude d’Alexandre à l’égard de l’empereur. La période des atermoiements et des négociations vaines était close : le conflit, sourdement préparé, rendu inévitable par les prétentions incroyables et tyranniques de Napoléon, allait éclater. Par des levées extraordinaires, des conscriptions impitoyables, la France dépouillée avait fourni au despote l’holocauste qu’il réclamait ; près de 700 000 hommes formaient les cadres de la Grande Armée ; 400 000 environ constituaient la réserve. Les proportions du désastre devaient, hélas ! correspondre à celles-là.

Le 29 mai 1812, Napoléon quittait Dresde et l’impératrice et, le 30 au soir, entrait à Posen ; une réception enthousiaste l’y attendait, mais il n’y fit guère attention. Deux jours après, il était à Thorn, où se trouvaient les états-majors des maréchaux de la Grande Armée ; il y passa la revue de la garde impériale qu’une valeureuse et intrépide résistance devait bientôt immortaliser.

L’empereur se rendit ensuite à Dantzig, passa l’inspection des travaux de fortification, visita, quelques jours après, le premier corps d’armée commandé par Davoust et cantonné à Kœnigsberg et vint enfin sur les bords du Niémen, non loin de Kovno, point choisi pour le passage de la Grande Armée.

Il convient de donner ici quelques indications rapides sur les forces dont Napoléon disposait au début le la campagne de Russie : la Grande Armée comprenait onze corps d’armée auxquels il fallait ajouter la garde impériale et la réserve de cavalerie placées sous le commandement de Murat ; les contingents étrangers avaient été répartis dans les différents corps d’armée ; c’est ainsi que le premier corps comprenait, en dehors de ses trois divisions françaises, trois divisions d’Espagnols, d’Allemands et de Polonais ; il en était de même pour les autres corps où les nationalités les plus diverses se coudoyaient. Le cinquième corps, placé sous les ordres de J. Poniatowski, était exclusivement composé de Polonais, le sixième de Bavarois, le septième de Saxons, le huitième de Westphaliens ; le dixième corps comprenait une division française et deux divisions prussiennes.

L’effectif total des contingents de la Grande Armée, y compris les corps