Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/402

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d’approvisionnement eurent, tout d’abord, pour effet de provoquer de la part des soldats le pillage des campagnes et des villes. Le nombre des déserteurs et de tous ceux qui s’abandonnaient à des déprédations, qu’il n’était pas possible de réprimer, prit des proportions considérables ; la température, qui s’était brusquement abaissée, ne laissa pas d’aggraver la situation déjà pénible des troupes ; des milliers de chevaux succombèrent et la marche des armées sur des terrains détrempés commença de s’opérer dans un désordre qui faisait déjà prévoir l’exode lamentable de Russie en France, dont le souvenir est l’un des plus douloureux de notre histoire.

Les Russes, cependant, déjà fidèles à la tactique d’inertie qui leur valut la victoire, évitaient tout combat, se dérobant à la moindre approche de la Grande Armée. Néanmoins, Davoust, qu’un différend avec le jeune roi de Westphalie avait mis dans l’impossibilité d’agir rapidement, parvint à joindre Bagration à Mohilef, le 23 juillet. L’avantage sembla tout d’abord appartenir aux Russes, mais l’habileté et la fougue de Davoust firent tourner la fortune. Les Russes se retirèrent, laissant sur le champ de bataille plus de 3 000 tués ou blessés.

Tandis que Davoust remportait ce succès, Napoléon, avec l’aile gauche de la Grande Armée, quittait Wilna, la capitale de Lithuanie, où il s’était attardé dans le dessein de faire approuver des réformes destinées à lui gagner l’enthousiasme de la population ; il arrivait sur les bords de la Dwina, où les Russes, inspirés par le fameux Pfuhl, confident du czar, avaient établi des ouvrages de défense, apparemment fort habiles, et qui n’eurent cependant aucune efficacité, car la disposition des redoutes et des retranchements en avant du fleuve était imprudente ; aussi les généraux russes, à l’approche de Napoléon, firent-ils à Alexandre l’exposé de leurs pressentiments, et n’eurent pas de peine à démontrer les dangers de la position de leurs troupes et les craintes légitimes d’un désastre au cas d’une prise de contact avec la Grande Armée. Le czar se rendit à leurs instances, et les troupes russes, évacuant rapidement leurs positions, se retirèrent sur Witepsk. En même temps, pressé par ses généraux qui redoutaient ses avis imprudents et inhabiles, Alexandre retournait à Pétersbourg.

Le 25 et le 27 juillet, Napoléon livra contre Barclay de Tolly les batailles d’Ostrowno et de Witepsk. Ces deux actions furent sanglantes, et les Russes eurent à subir des pertes considérables : 10 000 de leurs soldats trouvèrent la mort sur le champ de bataille. Après avoir hésité sur le point de savoir s’il livrerait ou non un combat dont il jugeait l’issue fort problématique, Barclay de Tolly fit évacuer Witepsk par ses troupes dans la nuit du 28. Au matin, Napoléon fit son entrée dans la ville, bien approvisionnée, où il résolut de demeurer quelque temps pour permettre à la Grande Armée, décimée par le froid, les combats, les maladies et les fatigues, de se réorganiser.

Pendant ce temps, Oudinot écrasait un corps russe de 15 000 hommes que